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en élèvent plus de 20,000 dans les leurs. » M. Dixon a visité leur établissement de Santa-Clara, et nous en a donné une description qui prouve qu’il sait voir avec esprit et écouter avec finesse. Il remarque par exemple que les pères de la fameuse compagnie peuvent bien tonner à outrance contre le monde moderne, mais qu’ils n’ont garde pour cela de dédaigner les plus petits progrès scientifiques de ce monde réprouvé. La preuve en est dans leurs laboratoires de physique, où tous les instrumens et ustensiles sont du modèle le plus nouveau. La preuve en est dans la bibliothèque de leur collège, qui contient plus de douze mille volumes dont beaucoup sont récens. « Au contraire des trappistes, me dit le père Varsi, nous nous armons de livres au lieu de reliques, nous croyons aux livres. » On conçoit qu’au milieu de tels soucis et avec une lutte aussi pressante à soutenir, l’œuvre ancienne des franciscains ne soit plus reprise, et que les pauvres Indiens soient définitivement abandonnés comme des victimes destinées à succomber dans les mêlées sans merci du struggle for life que se livrent les populations diverses éparses sur le sol californien.

La race mexicaine tient-elle beaucoup mieux que la race indienne devant ce terrible struggle for life ? Quiconque veut voir cette race dans son état pur doit visiter Monterey, capitale supplantée dont le sort peut lui prédire le sien propre. Là s’est réfugié tout ce qui reste en Californie de vieux sang espagnol non souillé de sang noir ou rouge, quoique déjà fortement teinté parfois de sang hérétique anglais ou américain. Telle ville, tels habitans. Monterey est une ville construite avec toute la négligence et toute la fantaisie espagnoles, sans rues, sans places ayant forme, où les maisons se présentent de front, de flanc, obliquement, avec la plus parfaite insouciance de l’alignement. Les habitans, tous dons et cabaleros, ont des mœurs à l’avenant de la régularité de leurs rues et de leurs places, et des opinions à l’avenant du souci du progrès qu’indique une telle ville. « A Monterey, un gentilhomme a non-seulement les droite d’un cavalier espagnol, mais ceux d’un chef indien. Il peut être à son aise impérieux de langue et léger de cœur. Personne ne pense à compter le nombre de ses maîtresses et à lui demander si ces dames sont rouges ou blanches… Comme il méprise tout le bavardage des étrangers sur les projets de routes à construire et d’écoles à ouvrir ! Ses pères ne pavèrent jamais une rue et ne bâtirent jamais une école. Ils entretenaient un prêtre qui gouvernait leurs maîtresses et qui faisait aller leurs filles à la messe. Ce bon vieux système lui convient. Qu’a-t-il à faire de routes et d’écoles ? Cavalier, les chemins qu’il préfère sont les sentiers gazonnés ; gentilhomme, qu’a-t-il besoin des talens d’un clerc ? La science lui servira-t, elle à amener des dés heureux, et les belles-lettres