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disons donc qu’ils sont les plus faibles et qu’ils doivent céder, struggle for life.

L’instructive histoire de don Mariano de Vallejo, que M. Dixon nous raconte avec détail, résume parfaitement la situation que les circonstances présentes font à tout Mexicain de fortune et de rang en Californie. Il y a trente ans, don Mariano de Vallejo était le plus riche et le plus puissant propriétaire de Californie. Dans sa jeunesse, il aida ses compatriotes à secouer le joug de l’Espagne, puis il inclina du côté de l’influence anglaise, et lorsque la guerre eut livré son pays aux États-Unis, il n’hésita pas à confondre sa fortune avec celle du gouvernement victorieux. Désireux de voir la future capitale s’élever sur ses propriétés, il proposa aux États-Unis d’en livrer l’emplacement et de construire à ses frais une partie des édifices ; le sénat accepta, et don Mariano fonda une ville sur la baie de San-Pablo qu’il appela Vallejo. Lorsqu’il eut dépensé 300,000 dollars à cette entreprise, le sénat changea d’avis, et don Mariano se trouva à moitié ruiné. Il a depuis essayé de remonter le courant, mais sans succès. Ses propriétés ont continué à s’écouler de ses mains par les canaux les plus divers. Sa fille et sa sœur ont pris des maris anglais. « Une bonne partie de ses terres sont plantées et clôturées au bénéfice d’enfans porteurs des noms anglais de Frisby et de Leese, qui dans les années à venir souriront, au sein de leur solide prospérité, de la creuse ostentation et de la prétentieuse pauvreté de leurs ancêtres mexicains. » Les procès achèvent de lui dévorer le reste de ses biens. « Tout Mexicain aime à plaider, et don Mariano ne va jamais en cour de justice sans perdre quelque morceau de propriété. » Si l’on peut trouver quelque consolation à se dire que le malheur dont on pâtit est celui de beaucoup d’autres, don Mariano est riche en ce genre de compensation. « Aucun Mexicain de note, dit-il à M. Dixon, durant une de leurs promenades, n’a pu conserver ses terres. Mon cas est dur, mais il n’est pas aussi dur que celui des autres ; dans vingt ans d’ici pas un gentilhomme espagnol ne sera citoyen des États-Unis. — Vous voulez dire que les Espagnols quitteront le pays ? — Ils se retireront au Mexique, où ils pourront espérer de conserver ce qui leur appartient. » Espérance bien incertaine encore, don Mariano, car le Mexique est bien voisin des États-Unis, et comme il est probable que d’ici à vingt ans la grande république, croissant toujours en population, et par là en énergie, aura eu besoin pour ses nécessités d’expansion de quelque nouvelle tranche de la conquête de Fernand Cortez, il serait plus sage de se proposer dès maintenant un lieu de retraite plus éloigné, comme le Chili ou le Pérou, par exemple. De cette façon, les Espagnols pourraient espérer d’être à l’abri, quelque larges que soient les enjambées des Yankees et quelque longs que soient leurs bras.