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réalité que les Indiens n’ont été que trop souvent les professeurs des Américains ; mais M. Dixon, qui ne s’arrête jamais à mi-côte, va beaucoup plus loin et n’hésite pas à attribuer à l’influence des Indiens nombre d’habitudes et de coutumes malfaisantes qui déparent les mœurs de l’Union. Par exemple, la vendetta fleurit dans certains états de l’ouest, et notamment dans l’Illinois, avec autant d’intensité qu’elle fleurissait autrefois dans tous les états de l’Europe méridionale. M. Dixon cite plusieurs exemples de haines héréditaires qui peuvent soutenir la rivalité avec celles qui divisaient les anciennes familles italiennes ; mais en quoi les Indiens doivent-ils être responsables d’une coutume que l’on trouve plus ou moins répandue chez tous les peuples de la terre, et plus ou moins forte selon leur état de société ? Il est possible que l’exemple des Indiens n’y ait pas nui, mais pour qu’on pût les accuser sûrement d’être la cause et l’origine de cette coutume, il faudrait qu’on ne la rencontrât que dans les seuls États-Unis. y avait-il des Peaux-Rouges dans les anciennes municipalités italiennes ? Y en a-t-il aujourd’hui en Corse et en Sicile ? Il est vrai que M. Dixon, à qui le fait n’a pas échappé, se hâte d’assimiler un peu trop ingénieusement les Peaux-Rouges aux Corses, aux Siciliens et aux Basques. La loi du talion, la coutume de se faire justice soi-même et de rendre crime pour crime, se rencontrent, dit-il, « dans tout pays où subsistent encore des vestiges de ses plus anciennes races ; aussi la France trouve-t-elle un reste de ce régime en Corse, l’Espagne dans les provinces basques, l’Angleterre dans le Connaught, et l’Amérique dans les prairies. » Je crois qu’il serait plus juste de dire que ces mœurs homicides se sont conservées dans tout coin de terre où, grâce à la configuration des lieux, l’ancien état de société d’où elles étaient issues a pu se conserver. En règle générale, toutes ces coutumes de vengeances héréditaires, de substitution de la justice privée à la justice publique, de châtimens sommaires exécutés par la force aveugle, étaient nées de l’état de société créé par le morcellement féodal et l’isolement où il laissait l’individu. Or qui ne voit que, malgré la différence énorme qui sépare la démocratie de la féodalité, l’état de société de certaines régions de l’ouest américain est à quelques égards presque le même que l’état de société féodal Comme dans la société féodale, et plus encore que dans la société féodale, l’individu isolé, souvent sans recours possible à l’autorité générale, est obligé de compter avant tout sur lui-même. S’il ne se fait pas justice, il doit craindre qu’il ne lui en soit fait aucune s’il ne se paie pas de ses propres mains, il est douteux qu’il obtienne aucune réparation. Est-il fort et méchant, il sait qu’il peut impunément abuser. Est-il faible et outragé, il se venge par l’embuscade et le guet-apens. L’absence ou l’éloignement de toute