Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 15.djvu/820

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les Indiens leur donnèrent à coups de pied la clé de l’espace. Mais où aller dans ces solitudes où ils n’avaient pas le droit de se bâtir une hutte et de cultiver un pied de terre, sans chevaux, sans armes à feu, sans provisions ? Après avoir longtemps roulé à travers les bois et les prairies avec leurs squaws, leurs chinos et leurs zambos, bon nombre d’entre eux arrivèrent à l’emplacement d’un ancien campement d’une petite tribu, les Caddos, dont les derniers membres ont depuis longtemps quitté cette région. Quelques ouvriers envoyés dans ces lieux pour la construction d’un chemin de fer s’y étaient établis, et les fugitifs trouvant dans ce voisinage une garantie de sécurité s’y installèrent. Cependant même là les ex-esclaves n’ont pas droit de séjour et d’habitation, car Caddo appartient au territoire des Choctaws, les anciens maîtres de plus d’un d’entre eux, et ils peuvent être expulsés à volonté des cabanes qu’ils ont bâties et des champs qu’ils ont cultivés ! En attendant, Caddo est devenue une petite ville qui prospère, où il se fait beaucoup de politique révolutionnaire, ce qui n’a rien d’extraordinaire, étant donné le caractère et l’origine de la population, et qui possède même un journal, l’Étoile d’Oklahoma, rédigé par M. Granville Macpherson, un aventurier, ou, comme dit spirituellement M. Dixon, « un Rob-Roy littéraire. »

Comme la pelle aime volontiers à se moquer du fourgon, selon un proverbe bien connu, on ne sera pas étonné d’apprendre que les Indiens professent le plus profond mépris pour les nègres, qu’ils regardent comme une population créée par le Grand-Esprit pour la servitude. Aussi leur émancipation et surtout leur admission aux fonctions administratives et politiques semblent-elles avoir jeté une grande irritation parmi celles des tribus qui se montrent le mieux disposées en faveur de la civilisation. Le fils de Boudinot-Daim-Robuste, le Cherokee libéral, ayant fait un voyage à Washington, en revint, disait-il, triste comme les bois en automne, expression d’une admirable poésie par parenthèse et qui n’a pas de supérieure dans Chateaubriand. Il était allé au capitole pour assister à un grand débat sur la politique à suivre par l’Union envers sa race, et qui avait-il vu installé sur le siège du président ? Un noir, esclave hier encore. Tout le rouge de la honte monta au front du fils des guerriers en songeant qu’un pareil compère avait le droit de faire des lois pour un peuple immémorialement libre comme le sien. « Chacun, soupira le jeune Cherokee, semble avoir des droits dans cette république, excepté les possesseurs primitifs du sol. » Les Indiens ne parviennent pas à comprendre comment le même gouvernement, qui leur retire leurs terres et leur refuse le droit de vivre, a donné aux nègres tant de droits et de privilèges qu’ils sont partout égaux et en