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M. Dixon, qu’au Texas un individu juge comme une mauvaise action de tuer son créancier, le séducteur de sa femme, son camarade ivre. » La propriété, quoique d’un rendement admirable, y devient presque sans valeur, exposée qu’elle est aux déprédations des Indiens et aux maraudages des nègres et des métis. Un riche propriétaire texien proposa à M. Dixon de le débarrasser de ses propriétés, qui étaient immenses et dont il n’avait jamais retiré un cent. Tous ses efforts pour les administrer avaient été vains ; lorsqu’il avait voulu les visiter, ceux qui s’en étaient faits les usufruitiers de leur autorité privée l’avaient averti d’avoir à s’en retourner d’où il venait ; les agens qu’il avait envoyés pour les surveiller avaient été tués. Un tel pays, violent et sauvage, est le paradis pour le nègre émancipé. Partout ailleurs il est gêné dans l’expansion de sa dangereuse jovialité par la civilisation trop abondante qui le serre de trop près, et aussi par le souvenir de son état si récent de servitude, qui fait encore entendre à son oreille le sifflement du fouet de l’overseer ; mais ici, où la nature ambiante est en harmonie avec ses instincts, où la population blanche augmente lentement et reste clairsemée sur un vaste territoire, sa stupidité fleurit comme le désert, et sa bestialité s’épanouit comme la rose. L’année où M. Dixon parcourut le Texas, il y avait eu dans cet état trois mille meurtres ; presque tous étaient l’ouvrage des noirs ; il est vrai d’ajouter, comme circonstance atténuante, qu’ils avaient commis la plupart de ces crimes contre leurs frères mêmes. Ces crimes-là, les noirs peuvent les commettre avec d’autant plus de sécurité que les Texiens n’en ont cure. Un noir est tué par un autre noir, personne ne se dérange ; la belle affaire ! c’est presqu’un service que l’assassin rend à l’état. Il n’en va pas tout à fait de même lorsque la victime est un blanc ; alors on peut être sûr que le sang coulera largement avant que la vengeance sociale soit satisfaite, car, grâce à l’hostilité des deux races, aucune ne se de à la justice. Si le juge appartient au parti républicain, le noir est sûr d’être absous ; s’il appartient au parti démocratique, il est sûr d’être condamné. Le plus court est donc de tirer vengeance du crime sans recourir à l’autorité judiciaire. Une ligue de blancs s’organise pour s’emparer du meurtrier ; mais à cette ligue répond une contre-ligue de noirs pour arracher le captif des mains de ses ennemis ; en sorte qu’il peut arriver qu’un assassin soit pris, délivré, repris, redélivré quatre ou cinq fois avant que l’aventure trouve un dénoûment. On voit que, si l’émancipation a fait du Texas un paradis pour les noirs, elle est bien près d’en avoir fait un enfer pour les blancs.

Cependant, il faut le dire, ce n’est guère que dans le Texas que l’émancipation a produit cette anarchie fangeuse et sanglante ;