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tableau de M. Sylvestre a été discuté autant qu’admiré. On a jugé que l’architecture de son caveau était pauvre, maigre et mesquine. Nous trouvons qu’elle est exactement ce qu’elle doit être, que ce marbre vert assez commun convenait au sujet. Pourquoi des colonnes, des astragales et des rinceaux ? Il n’est pas à présumer que Néron choisît le plus beau salon du Palatin pour y faire ses petites expériences chimiques. M. Sylvestre n’aime pas les décors de convention ; nous ne les aimons pas plus que lui. On a cherché querelle à son Néron ; on l’a déclaré vulgaire, on s’est plaint qu’il n’avait d’impérial que ses sandales dorées. Nous ne sommes point de cet avis. A la vérité, si Néron revenait au monde, peut-être hésiterait-il à se reconnaître dans cet homme brun, un peu lourd de formes, que nous montre M. Sylvestre. Néron était blond ou tirait sur le blond, et il avait les yeux bleus et un peu myopes, — fuit sufflavo capillo, oculis cœsiis et hebetioribus. Au surplus, lorsqu’il empoisonna Britannicus, il n’avait guère que dix-huit ans. Le Néron de M. Sylvestre pourrait bien avoir dépassé la trentaine ; mais ce n’est pas un pur Néron de fantaisie. Il ressemble beaucoup à l’un des bustes qu’on voit au Louvre, le cou gras, le visage bouffi, une petite bouche aux coins enfoncés, qui fait la moue, une beauté dénuée de tout charme, comme le dit encore Suétone. C’est Bien Néron, une figure d’enfant gâté qui dispose de l’univers, il n’admet pas qu’on lui refuse rien ; hier il demandait la lune, aujourd’hui il demande le poison idéal, — si Britannicus en réchappe, Locuste le paiera de la vie.

On a critiqué la tête et l’accoutrement de Locuste ; on s’est plaint qu’elle aussi était vulgaire. Que savons-nous de Locuste ? Peu de chose. C’était une empoisonneuse célèbre, nous disent Tacite et Dion Cassius. Lorsque Agrippine recourut à ses services pour en finir avec Claude, qui traînait, cette triste créature venait d’être condamnée pour empoisonnement et mise sous les verrous. Ce fut dans son cachot que Néron vint la trouver. Britannicus mort, il la récompensa de ses peines en lui accordant l’impunité et de grandes terres. Elle tint école, et Juvénal nous assure que plus d’une femme apprit d’elle la meilleure façon de se débarrasser d’un mari désagréable. Elle acquit une importance politique, elle prit place parmi les institutions impériales, parmi les moyens de gouvernement, inter instrumenta regni habita. C’était une parvenue du crime, et rien n’empêche de croire qu’elle était partie de très bas. La Locuste de M. Sylvestre nous paraît une admirable création. Cette tête ronde, ces cheveux d’un noir luisant et graisseux, cette large raie qui descend jusqu’à la nuque, cette tresse qui se joue sur une épaule osseuse, nous n’avons jamais vu d’occiput plus scélérat. Cette figure