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en France, se montrent particulièrement dans le portrait énergique et si bien nuancé qu’il fait de la cité lyonnaise. On dirait que les inconvéniens ressortent d’autant mieux qu’est accentué davantage l’éloge de ces populations, qui se distinguent par certaines supériorités qu’on est loin de rencontrer toujours dans les villes industrielles. Si l’on s’attache, à Lyon, à considérer le rôle qu’ont joué les capitalistes, les entrepreneurs, comment n’être pas frappé des mérites spéciaux de cette race industrieuse qui, en installant successivement dans cette grande cité la production de la soie, a déployé la plus vigoureuse et la plus habile persistance ? Race patiente, à ce qu’il semble, comme la Suisse qui l’avoisine, avec un rayon de soleil de l’Italie, Lyon a travaillé comme une ville du nord, mais avec cet héritage du goût qui lui est venu de Gênes et de Florence, et avec cet esprit d’invention infatigable qui lui appartient à un éminent degré. Considère-t-on les travailleurs ? Combien de qualités rares ! Où trouver plus de dignité personnelle, moins d’ivrognerie ? Où les mœurs sont-elles moins gâtées dans les relations des sexes ? Où l’ouvrier, disons mieux, l’artisan, met-il plus de réflexion, plus d’amour, dans l’accomplissement d’une tâche qui lui plaît ? Il a trop de goût pour le spectacle, pour certaines dissipations dispendieuses, comme le café chantant, cette invention moderne qui paraît avoir pour effet de répandre tout autre chose que le goût de la musique. Ajoutons qu’en général ces plaisirs sont pris en famille. L’ouvrier de Lyon a d’ailleurs la même originalité dans ses défauts que dans ses qualités : il est rêveur ; il n’a pas la gaîté, l’insouciance habituelle de l’ouvrier de Paris, l’indifférence sensuelle de tel autre ouvrier des villes d’industrie. On l’a vu pieux, dévot même, et si ce trait s’est en partie effacé, il n’a pas disparu sous l’indifférence fréquente, et bien que M. Reybaud en ait vu, ceci est un signe du temps, qui se plaisent à se dire positivistes. Le type le plus pur de cette classe, l’ingénieux inventeur Jacquart, était très religieux ; mais cette disposition rêveuse pourra aussi être tournée aux réflexions chagrines, au mécontentement, à la chimère, et, avec l’humeur susceptible qui s’y joint, aboutir à l’utopie, au socialisme. Moins habituellement débauché que d’autres, il pourra plus facilement devenir fanatique. On a vu à Lyon cet homme, d’ordinaire tranquille et casanier, transformé tout à coup en insurgé redoutable, et des insurrections commencées au nom de simples difficultés de contrats de travail, dégénérer en revendications sociales d’une toute autre portée. N’est-il pas à noter que « c’est à Lyon, en effet, c’est-à-dire non dans une ville de grande manufacture, mais de fabrique morcelée, que le socialisme révolutionnaire a commencé à inscrire sur son drapeau déployé en pleine