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dans le monde, de son ancienne valeur de 20 à 25 millions de francs, à une valeur d’environ 4 milliards 1/2 pour comprendre quel appel a dû être fait au travail humain. Au moment de l’enquête, il y avait 400,000 ouvriers seulement, en Angleterre, employés à la fabrication du coton ; 4 millions de personnes vivaient de cette industrie plus ou moins directement. Tout un monde de salariés, d’agens, rétribués souvent de la façon la plus avantageuse, s’est greffé, pour ainsi dire, sur cet arbre aux rameaux de plus en plus vigoureux et multipliés.

C’est ainsi encore que M. Reybaud jugera les effets purement moraux qu’a pu avoir la grande manufacture dans l’industrie du coton. Il ne dissimule pas les côtés affligeans : pourquoi tairait-il les progrès ? Pourquoi ferait-il un crime particulièrement à la manufacture de mœurs et de vices qui ont des causes plus générales ? Par exemple, est-ce la faute de l’auteur de l’enquête si c’est le plus souvent dans des cités alors étrangères à la grande manufacture qu’on a vu se manifester le paupérisme dans la production du coton sous les traits les plus repoussans ? Est-ce sa faute si aujourd’hui encore les métiers à la main qui, dans plusieurs régions, luttent avec une énergie désespérée en face de la manufacture, et se maintiennent en un plus grand nombre qu’on ne le pourrait croire, montrent des salaires misérablement bas, une exploitation par les intermédiaires qui se fait sentir douloureusement, une moralité qui fléchit sous le poids de l’angoisse et de la privation ? Est-ce sa faute si les salaires moyens dans les manufactures ont rendu la vie moins nécessiteuse, l’épargne moins difficile, si même il est des cas plus nombreux qu’on ne pense où le salaire a pris des proportions qui influent heureusement sur les conditions morales de la vie ? Le tisserand anglais touche 1,500 ou 1,800 francs de revenu, souvent davantage. Pesez bien les conséquences de ce fait. Est-ce à dire seulement qu’il mange mieux, qu’il est mieux vêtu, mieux logé, les objets de première nécessité ayant baissé de prix en Angleterre ? Il s’ensuit un résultat plus grand : la famille est reconstituée, la femme travaille chez elle, redevient ménagère. Qu’est-ce alors qu’un ouvrier ? C’est un commis, un employé, avec moins d’exigence de tenue.

Bien plus, le régime manufacturier lui-même a servi la cause des réformes morales en des cas assez nombreux pour que l’on doive cesser de les considérer comme des exceptions sans avenir. On en cite plus d’un modèle. Le plus remarquable d’entre eux a été placé sous nos yeux par M. Louis Reybaud dans un détail qui indique toute l’importance qu’il y mettait. Pourquoi faut-il qu’un douloureux souvenir s’y joigne pour nous ? Je n’ai pu relire sans un