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précoces, des tremblemens dans les mains, qui ne permettent plus d’accomplir des tâches délicates, etc.

Est-ce à dire qu’il faille se décourager ? Eh bien ! non. Tournez la page : voyez ce qui s’est fait à Roubaix. Le salaire n’y est pas fort élevé. Les mariages y sont précoces et les charges de famille fort lourdes. Combien de tentations pour se dérober à une vie austère qui ne laisse guère de jouissances en dehors du devoir accompli ! Dans cette ville si attentive à se tenir au courant de tous les progrès et où le capital a tout créé pour ainsi dire contre la nature, il est vrai de dire que les fabricans sont relativement dans une situation meilleure que celle des ouvriers, qui ont juste de quoi vivre. Ce qu’ont fait ces fabricans pour développer l’intelligence, améliorer la condition de leurs auxiliaires, n’en est pas moins merveilleux. Ce qui frappe surtout dans ce que dit de Roubaix l’auteur de l’enquête, c’est de voir que les mœurs y sont satisfaisantes, c’est ce fait bien rare que sur une population de 55,000 âmes on ne comptait en 1864 que 69 ménages irréguliers et 55 enfans naturels. Cette pureté des mœurs s’associe au sentiment religieux et s’y appuie. Ajoutez un développement extraordinaire d’écoles qui sans doute porteront leur fruit dans un salaire destiné à s’accroître avec la capacité professionnelle. Brave population à qui M. Reybaud ne trouve guère à reprocher que de boire le dimanche un peu trop de bière, et sa passion pour le mail, les boules, tous les genres de tir et les sociétés chorales. Sedan, avec son excellent personnel, est dans l’industrie de la laine, à beaucoup d’égards, le digne pendant de Roubaix. On rencontre enfin dans le midi des faits d’un meilleur augure sous le rapport moral. Dans les centres producteurs de laine, on ne voit rien de comparable aux vices qu’on rencontre dans le nord chez les populations ouvrières. Les mœurs y valent mieux que les têtes. On y fait quelquefois des émeutes contre les fabricans. L’ivrognerie et la débauche y sont rares, quoique l’amour du plaisir et la coquetterie n’y manquent pas.

Le trait le plus fâcheux peut-être de la situation générale qu’ait signalé l’auteur, trait commun à presque tous les centres, quoiqu’il s’y trouve fort inégalement, c’est une sorte de parti-pris de se passer du capital. Un socialisme vague, des mécontentemens le plus souvent peu justifiés, une défiance qui s’étend même au bien, quelquefois des essais plus honorables d’association, qui manquaient des conditions de succès les plus élémentaires, indiquent dans la population livrée à cette industrie une situation d’esprit, une tendance des volontés qu’on ne peut voir se développer sans s’en préoccuper. Au reste, cette maladie n’est pas propre aux seules industries textiles et elle n’atteint pas uniquement la manufacture. C’est une triste