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Les Cosaques de la sitch, presque insaisissables dans les roseaux du Dnieper, conservèrent encore leur indépendance durant un siècle. Pierre le Grand les respecta, Catherine II finit par les dompter. Cernés par les troupes russes, ils durent se soumettre au joug Commun le 5 (17) juillet 1775. Quelques centaines d’entre eux s’évadèrent pendant la nuit, montèrent sur leurs petites barques et allèrent s’établir près des moûts Caucase, sur la rive droite du Kouban, où leurs descendans portent le nom de Cosaques de la Mer-Noire.

Catherine, voulant parfaire son œuvre, établit dans ce pays d’égalité et de liberté la noblesse et le servage. Les anciens chefs, voyant toute résistance impossible, ne se firent pas trop prier pour accepter des honneurs et des terres ; mais pour les simples Cosaques ce fut une terrible épreuve qu’ils subirent avec une sourde rage. Une nouvelle émigration eut lieu. Un grand nombre de familles, sous la conduite de Nékrassof (ancêtre du poète russe actuel), allèrent vivre chez les Turcs, dans la Dobrodja, coin de terre situé entre la rive droite du Danube, la Mer-Noire et le mur de Trajan. Depuis lors ils ont toujours combattu, même contre la Russie, sous le drapeau de leur pays d’adoption ; cependant ils conservent leur religion et leur langue.

Les Petits-Russiens, soumis à ce dur régime du servage et déchus à leurs propres yeux, perdirent tout esprit d’initiative, même au point de vue des intérêts matériels. À défaut d’autre chose, la fécondité inépuisable de leur sol semblait être un élément de richesse que nul ne pourrait leur prendre, et pourtant tout leur commerce passa bientôt aux mains des négocians russes et juifs qui vinrent s’établir chez eux.

Ces sortes d’accaparemens du commerce par des étrangers ont généralement pour cause une supériorité incontestable des nouveaux venus au point de vue de la civilisation ou de l’instruction. Ici, ce n’était pas le cas ; au contraire, la Petite-Russie avait une avance considérable sur la Russie du nord. Pendant longtemps l’académie théologique de Kief avait été le seul établissement d’enseignement supérieur qui existât entre la Mer-Blanche et la Mer-Noire. C’est là que venaient s’instruire les savans qui faisaient l’ornement de la cour de Moscou ; c’est là que plus tard se formèrent les premiers auxiliaires russes de Pierre le Grand. C’est au sud qu’apparurent les premières typographies, les premiers livres, les premiers théâtres ; c’est par le sud que commencèrent les relations intellectuelles avec l’Occident. Quant à l’instruction primaire, que les successeurs de Pierre le Grand eurent tant de peine à introduire même dans les classes privilégiées de la Russie du nord, elle était en Petite-Russie le lot de tout le monde sans exception. Il est vrai