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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




14 juin 1876.

S’il ne s’agissait pas avant tout de la paix du monde et de toutes les garanties de la civilisation, les affaires de l’Europe depuis quelques jours ne laisseraient pas d’offrir un intérêt bizarre aux sceptiques et aux curieux friands d’énigmes et de péripéties. Le spectacle est en vérité assez complet. La tragédie se mêle à l’imbroglio ; les scènes sanglantes de l’insurrection de l’Herzégovine et de la Bosnie sont éclipsées par les scènes du palais de Tchéragan. Les révolutions du sérail ont leurs contre-coups dans les conseils de l’Occident. Les fortes têtes de la politique commencent à se demander si pour éteindre un incendie on n’a pas un peu trop joué avec le feu. Les alliances les plus vantées se ressentent de l’imprévu et passent visiblement par une crise assez sérieuse.

Que serait-il arrivé, si la campagne diplomatique récemment organisée à Berlin par les puissances du nord avait pu être poursuivie jusqu’au bout ? À quoi pouvait-elle ou devait-elle conduire, telle qu’elle était engagée, cette campagne qui avait son programme dans un mémorandum paraphé entre les trois chanceliers et communiqué à l’Europe ? Ce n’est plus peut-être qu’une question rétrospective. Un double coup de théâtre a tout changé. Il est certain que les événemens qui ont éclaté à Constantinople, qui n’ont pas dit leur dernier mot, et l’attitude nouvelle que l’Angleterre a prise en face des complications orientales, ont jeté un désarroi momentané dans les savantes combinaisons de Berlin. Ce n’est point, si l’on veut, une campagne manquée, puisque rien de décisif, d’irrévocable, n’était fait encore, et que rien n’est compromis ; c’est une campagne à rectifier et à reprendre dans des conditions modifiées par l’imprévu des catastrophes et des dissentimens de la diplomatie. C’est une situation nouvelle qui vient pour ainsi dire d’éclater en pleine Europe, sous les pas des gouvernemens réduits à s’interroger, à se con-