Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 15.djvu/954

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pressent, et le gouvernement turc lui-même, à vrai dire, semble le comprendre. S’il a de la peine à débrouiller ses affaires à Constantinople, s’il met une certaine lenteur dans ses actes, dans les manifestations de sa politique, il a du moins senti la nécessité de donner un premier gage à l’Europe en publiant une amnistie, en offrant spontanément aux insurrections de l’Herzégovine et de la Bosnie un armistice de quelques semaines et en attestant ses intentions réformatrices. C’était dans tous les cas, pour le gouvernement turc, le seul moyen de s’accréditer en Europe, d’atténuer pour sa part ce qu’il y a d’aigu dans la crise que nous traversons et de laisser à toutes les politiques le temps de se reconnaître, de chercher, en dehors de toute pression trop vive, des circonstances, des combinaisons nouvelles à peu près acceptables pour tout le monde.

Est-il donc impossible pour l’Europe de trouver ces combinaisons en commençant par remettre un peu d’ordre, une certaine harmonie dans cette sorte de médiation supérieure que, depuis plus d’un an, elle a entrepris d’exercer pour la pacification de l’Orient, dans l’intérêt de sa propre sécurité ? Évidemment, si chez une seule des puissances du continent il y avait une arrière-pensée, la moindre velléité de braver des conflits, de provoquer à tout prix, fût-ce au risque de la guerre, la dissolution et le partage de l’Orient, si quelque chose de semblable existait, tous les efforts seraient inutiles, ils se briseraient contre un redoutable parti-pris, ils seraient déjoués par tous les subterfuges d’une volonté résolue à entretenir une agitation dont elle compterait profiter ; mais rien de semblable n’existe, on le dit souvent, on le répète sans cesse, et tout le monde est assez intéressé au maintien de la paix pour que ces déclarations soient sincères. Premier point, personne ne peut désirer la guerre ; il y a même aujourd’hui une répugnance si universelle pour toute perturbation européenne, que celui qui déchaînerait légèrement la tempête s’exposerait à soulever l’opinion contre lui. Ce n’est pas seulement la nécessité théorique et générale de la paix qui est admise par les gouvernemens comme par l’instinct public ; sur la plupart des points essentiels de cette crise d’Orient, on peut facilement s’entendre.

Ainsi le principe de l’intégrité de l’empire ottoman n’est point mis en doute. Le traité de 1856 qui reconnaît et sanctionne ce principe n’est pas contesté ; il est si peu contesté qu’il est précisément le titre légal invoqué par les puissances dans leurs négociations incessantes en Orient. On n’est pas tenu d’avoir des illusions sur la Turquie, sur son gouvernement, même sur son avenir ; mais comme après tout elle existe, il est entendu qu’on ne doit pas toucher à sa souveraineté, à son indépendance. La Russie l’admet aussi bien que l’Angleterre ou la France. D’un autre côté, qui pourrait méconnaître les griefs et les droits des popula-