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même (chose inouïe jusqu’alors) avec des habitudes de travail. Il se nouait au camp des amitiés entre égaux, et même entre supérieurs et subalternes, qui devaient durer jusqu’à la mort ; nous pourrions donner de touchans détails sur les relations des officiers avec leurs soldats d’ordonnance. Dans les petits endroits où des garnisons étaient établies, c’étaient elles, qui, aux jours de péril ou de désordre, faisaient la besogne de la police et de l’administration, arrêtaient les voleurs, éteignaient les incendies, balayaient les rues, secouraient les indigens, soignaient les malades, enterraient les morts : tels furent « les abus commis (disaient les cléricaux) par une ignoble soldatesque. » C’est ainsi que « les infâmes baïonnettes » établirent l’ordre, et en même temps la liberté, chez des populations qui n’en voulaient pas.

Les journaux nous avaient dit tout cela ; mais le public est devenu défiant et ne croit plus tout ce que les journaux lui disent. Les sceptiques ont pu prendre ces assertions pour des argumens en faveur de l’unité italienne ; il leur fallait un livre qui montrât l’armée à l’œuvre, et donnât des faits au lieu de phrases, des tableaux réels au lieu de vagues considérations. Ce livre existe ; il est peut-être le plus populaire de tous ceux que là littérature italienne a produits depuis dix ans. L’auteur, très jeune encore, est un Génois, M. Edmondo de Amicis, qui fut officier dans l’armée et fit la campagne de 1866 ; depuis lors il a pendu l’épée au croc pour prendre la plume. Il a parcouru l’Europe et en a rapporté des livres pleins d’instruction et de bonne humeur[1] ; ajoutons qu’il aime la France et qu’il nous a défendus, pendant et après la guerre, avec une affection vaillante et fidèle. Sa Vie militaire est un recueil, d’études vivantes, écrites de verve, d’après nature, par un homme d’esprit et de bonne foi. Il dessine vite et bien, d’un crayon alerte et juste, par des procédés hâtifs qui à la longue fatigueraient peut-être, mais en le lisant, il ne nous laisse jamais le temps de nous ennuyer.- Le lecteur français pourra trouver du plaisir et du profit dans la traduction ou plutôt dans la réduction de deux ou trois de ces esquisses. Il manque à notre littérature une plume militaire qui soit à la fois populaire et bien taillée comme celle de M. de Amicis. Cet écrivain a eu le bonheur d’entendre juger une de ses nouvelles par un soldat et par un homme du peuple. « Après l’avoir lue, disait l’homme du peuple, je serais allé serrer la main au premier soldat que j’aurais rencontré dans la rue. — C’est une histoire qui vous console, disait le soldat, et qui vous met un peu de bonne volonté au cœur. »

  1. Voici, outre la Vita militare, les ouvrages de M. de Amicis : Ricordi del 1870-1871, Florence 1873 ; — Novelle, Florence 1872 ; — Pagini Sparse, Milan 1874 ; — Spagna, 3e édition, Florence 1875 ; — Olanda, 2e édition, Florence 1875. — J’entends dire que le fécond écrivain prépare en ce moment un ouvrage sur le Maroc.