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l’officier ? demanda un sergent en entrant au dortoir. — Moi ! moi ! s’écrièrent les soldats exténués qui allaient dormir ; et toutes les mains se levèrent.

Un jour, sur la pente du mont Pellegrino, près de Palerme, six ou sept compagnies du 55e régiment d’infanterie, se tenaient debout, rangées en bataille ; les exercices étaient terminés. Le colonel et un major, tous les deux à cheval, allèrent se placer devant la compagnie du centre, et le colonel fit signe qu’il voulait parler. Ayant obtenu le silence, il exposa l’état misérable de Palerme, où l’épidémie faisait rage et où les hôpitaux n’avaient plus d’infirmiers : — Je ne vous impose pas un devoir, dit-il, je vous exhorte à un sacrifice ; vous êtes tous libres de répondre oui ou non. Mesurez vos forces. Cet office est dangereux ; il faut le refuser ou l’accepter avec beaucoup d’affection et de courage. Songez-y bien et décidez-vous promptement. Qui veut être infirmier ? Genou, terre ! — Toute la ligne de bataille se mit à genoux d’un seul mouvement. Ce dernier trait n’est point arrangé pour l’effet théâtral : la chose se passa comme on vient de le dire. Une autre fois un sergent entra dans une salle de la caserne et vit la chambrée assise à terre en rond et causant avec toute la gaîté possible en ce temps de misère : — Un moment d’attention ! — demanda le sergent ; et le silence se fit aussitôt. — Hier matin, dans ce pays, six petites filles sont restées sans père ni mère. Qui de vous veut donner quelque chose pour ne pas les laisser mourir de faim ? — Les soldats se regardaient l’un l’autre sans dire un mot, avec un air de tristesse et de moquerie. Que pouvaient-ils donner ? Ils n’avaient rien et mangeaient tout juste. Un soldat, s’étant levé, montra un sou dans la paume de sa main. — Le voulez-vous ? — dit-il avec un air tout honteux d’offrir si peu de chose. — C’est toujours cela, fit le sergent. y a-t-il autre chose ? — Oh ! s’il ne s’agit que d’un sou, repartit un soldat, je l’ai aussi. — Un sou suffit ? voici le mien, ajouta un troisième. — Voici le mien, répétèrent les autres, et tous mirent leur pièce de cuivre dans la main du sergent. — Braves garçons ! s’écria celui-ci, mais il faut encore autre chose. — Bah ! quoi donc ? — Du pain. — Du pain ? N’est-ce que cela ? Nous en avons de reste. — Chaque soldat coupa une tranche de son pain noir et l’on piqua toutes ces tranches à une baguette de fusil. Mais qui portera l’offrande ? — Le plus beau de la chambrée, proposa une voix. — Mais cette beauté, où est-elle ? demanda un critique difficile. — Moi ! s’écria un Napolitain qui passait pour l’homme le plus laid du régiment. Il prit la monnaie, les tranches de pain et sortit au milieu des applaudissemens et des éclats de rire.

Les conseils municipaux de Sicile offraient quelquefois des récompenses aux garnisons qui, pendant l’épidémie, montraient le