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et prenait les vers à la pipée. Le Lamartine de M. Falguière est en marche, il se promène ; d’une main il tient son crayon, de l’autre son cahier ; il cherche un vers, on sent qu’il ne le cherchera pas longtemps. Le vent de l’inspiration agite et fait flotter les plis de son manteau à collet. Derrière lui, un laurier étale ses branches verdoyantes ; d’habitude ce n’est pas là qu’on les met. Cette statue, qui pourtant n’est pas trop grande, a paru dégingandée. Ce n’est qu’une ébauche. Faisant le portrait d’un poète qui ne se revoyait guère, M. Falguière n’a pas pris la peine de se revoir et de se châtier. Les poèmes de Lamartine ne sont pour la plupart que des brouillons de génie ; c’est un brouillon que la statue de M. Falguière, et il n’est pas permis de brouillonner en sculpture. Patience, le sculpteur corrigera son projet, il en fera peut-être un chef-d’œuvre.

Si la statuaire s’accommode mal du style trop lâché, elle se concilie plus difficilement encore avec l’excès des mignardises et du précieux ; elle a la sainte horreur du poupard, du requinqué, du léché, des petites manières et de tous les genres de marivaudage. Le marbre se laisse quelquefois violenter, il n’aime pas beaucoup qu’on le caresse ; il consent dans l’occasion qu’on joue avec lui, mais il exige qu’en jouant on le respecte. D’où venait tout ce peuple de groupes mignons et de statuettes poupines qui, comme un vol de colombes, s’est abattu cette année sur le Salon ? D’où venaient toutes ces Réprimandes, toutes ces Distractions, toutes ces Désillusions, toutes ces Prières, toutes ces Innocences, tous ces Gagne-petit, qu’on rencontrait à chaque pas dans le jardin du Palais de l’Industrie ? Ces gagne-petit étaient des Savoyards courant le monde avec leur singe juché sur leur épaule ; ces réprimandes étaient de jolies mamans en peignoir chapitrant leur marmot ; ces désillusions étaient représentées par une petite fille qui vient de casser son pot au lait et qui s’essuie les yeux avec le coin de son tablier ; l’innocence nous apparaissait sous les traits d’un bambin qui relève sa chemise. On voyait aussi un Futur Artiste sculptant le portrait de son chien sur la pomme d’une canne ; son chapeau de paille était transparent et le vent faisait bouffer les plis de sa chemise. Nous avons vu encore une jolie ouvrière qui faisait du filet ; nous avons reconnu sur l’un de ses bras les marques de la vaccine, nous avons distingué tous les points et les arrière-points de sa jupe ; elle était assise sur un banc de bois dont nous avons compté les fibres, les veines, les nœuds et les clous, A ses pieds était une corbeille qui renfermait un chanteau de pain ; ce pain était un peu bis, mais presque mangeable. Toutes ces merveilles, toutes ces poupées, toutes ces brioches avaient passé les monts, elles arrivaient du pays qui a produit jadis Donatello et Michel-Ange.