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mouvoir sous un vêtement de guerre de plus en plus protecteur, mais aussi de plus en plus incommode. Les tournois entretenaient d’autant plus les habitudes batailleuses de la noblesse qu’ils dégénéraient souvent en combats véritables, où hommes et chevaux trouvaient la mort. Aussi Philippe le Bel les interdit-il à plusieurs reprises, secondé par les foudres de l’église. Philippe le Long renouvela l’interdiction ; mais ces défenses furent impuissantes, et les tournois reprirent plus que jamais faveur sous les Valois. Les femmes se passionnaient pour ces divertissemens, où elles voyaient figurer ceux qui avaient touché leur cœur et qui s’honoraient de servir pour elles. La galanterie se mêlait ainsi à ces plaisirs militaires, où l’on déployait un grand luxe et qui devenaient pour la noblesse une occasion de dépensés ruineuses.

Quand quelque culture littéraire se répandit chez les gentilshommes, au lieu de méditer les écrits sérieux qui n’avaient alors, il est vrai, sous leur forme scolastique rien d’attrayant, ils prirent goût à ces compositions poétiques dont les récits d’aventures, les descriptions de batailles, faisaient tout le fond et auxquels vinrent s’associer, après que les mœurs se furent un peu policées, quelques scènes d’amour, quelques épisodes de galanterie. Les femmes prenaient dans ces nouvelles créations de l’imagination de nos pères une. place que ne leur avaient point accordée les chansons de geste. Tel est le caractère des romans de la Table-Ronde. L’influence exercée par ces romans sur l’esprit de la noblesse fut considérable, et les femmes n’y ont pas peu contribué, « On se disputait dans les châteaux, écrit M. Léon Gautier dans son attachant ouvrage sur les Épopées françaises, la joie de posséder les jongleurs des nouveaux romans ; les vieux jongleurs étaient laissés dans l’ombre ou même tout à fait abandonnés. » Ainsi quand le gentilhomme venait se reposer dans son manoir des fatigues, des combats auxquels il avait pris part, c’était d’autres combats, d’autres aventures de guerre que son imagination se nourrissait. L’intérêt qu’il prenait à ces fantastiques récits stimulait chez lui le désir de courir à de nouveaux hasards et ne faisait qu’accroître son aversion pour l’existence tranquille et monotone d’un châtelain père de ses paysans et en bonne intelligence avec ses voisins. « Singulière destinée que celle de ces poèmes d’aventures composés au XIIIe ou même au XIIe siècle, écrit M. Luce ; ils semblent n’avoir eu d’action générale et marquée sur les mœurs qu’au XIVe siècle. Autant ils forment dissonance avec le milieu qui les entoure à l’époque de Philippe-Auguste, de saint Louis, de Joinville, autant ils s’harmonisent avec les contemporains de Philippe de Valois et du roi Jean. Non-seulement les prénoms de Lancelot, de Gauvain, de Galehaut et tant d’autres empruntés à ces poèmes deviennent alors plus fréquens, mais encore, à voir certaines figures