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vers nous son long nez droit, son front court et sa petite bouche. Il appuie son menton sur sa main, il cherche sa réponse. La tête de ce chercheur, qui demande à ceux qui le regardent le mot de la grande énigme, est superbe ; elle est antique par la simplicité des lignes, elle est moderne par la profondeur un peu trouble de l’expression. Le rocher, les draperies, les ailes déployées du sphinx, les ombres et les noirs habilement ménagés, tout l’agencement de ce bas-relief témoigne d’une main aussi ingénieuse que hardie. M. Coutan a le diable au corps, c’est le plus beau don que le ciel puisse faire à un sculpteur ; quand on le possède, on en répond devant Dieu et devant les hommes.

A l’éminent artiste qui exerce sur la jeune sculpture la plus visible influence il était réservé d’obtenir les grands honneurs du Salon ; en les lui décernant, le jury n’a fait que remplir l’attente et confirmer le verdict du public. M. Paul Dubois doit décorer de quatre statues assises le monument du général Lamoricière ; il en a exposé deux, qui représentent le Courage militaire et la Charité ; ce ne sont encore que des modèles en plâtre. Ces statues symboliques n’ont pas seulement excité l’admiration du public, elles lui ont inspiré une sorte de respect attendri, il s’est passé quelque chose de particulier entre son cœur et ces deux plâtres. Il faut louer dans ces œuvres du premier ordre l’habileté prodigieuse de la main, un goût exquis, un art raffiné. Il y a plus, l’artiste a cherché son inspiration dans le plus profond de son cœur, il y a trouvé le secret de la beauté chaste et religieuse ; ses deux statues portent au front comme une auréole. Un poète allemand se plaignait jadis que les moralistes eussent inventé l’antithèse du talent et du caractère. Leur refrain, disait-il, est que les honnêtes artistes sont en général de mauvais musiciens, qu’en revanche les bons musiciens ne sont rien moins que d’honnêtes artistes, et que pourtant la chose essentielle en ce monde, c’est l’honnêteté et non la musique. « Faudra-t-il réserver notre admiration, continuait ce grand poète indigné, à l’ineptie vertueuse, aux grandes convictions qui bredouillent, aux nobles sentimens qui ne disent rien du tout ? » Et il maudissait « le règne des justes dans la littérature. » Quand le public se trouve en présence d’un talent supérieur qui ne demande son succès qu’aux sentimens les plus nobles et les plus purs, quand il a affaire à de grandes convictions qui ne bredouillent point, il éprouve toujours une sorte de surprise. Il est entré un peu de cette surprise dans l’accueil qu’on a fait au Courage militaire et à la Charité de M. Dubois. On se disait : — Voilà donc ce que produit encore la France en l’an de grâce 1876, et voyez un peu comme cela nous plaît. Qui donc prétendait que nos préférences allaient aux œuvres frivoles