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les deux gouvernemens, l’un déclinait toute solidarité dans les engagemens de Berlin, envoyant bruyamment sa flotte dans les mers d’Orient et se montrant disposé à soutenir la Turquie, — l’autre avouant plus que jamais ses sympathies ardentes et actives pour les populations slaves en armes, Il y a eu des escarmouches assez vives ; la mauvaise humeur n’a été que passagère, et depuis on est revenu peut-être des deux côtés à des dispositions infiniment plus conciliantes et plus pacifiques. L’Angleterre et la Russie se sont dit sans doute quelles étaient plus intéressées à se rapprocher qu’à se quereller indéfiniment eux le mémorandum de Berlin, qui a disparu. Or c’est pendant que ce rapprochement tend à s’accomplir, s’il n’est déjà accompli, que les événemens ont pris tout à coup une allure plus précipitée et plus redoutable. C’est au moment où les ombrages de dissentimens récens ont l’air de s’atténuer entre la Russie et l’Angleterre, que la Serbie court aux armes et se montre impatiente d’engager la lutte avec les Turcs au nom des Slaves des Balkans.

Chose à remarquer en effet, naguère encore, malgré l’exaltation d’un sentiment national surexcité au contact des insurrections voisines, la Serbie restait docile aux conseils pacifiques de la diplomatie, qui s’efforçait de la retenir, de la détourner d’une lutte aussi dangereuse que peu justifiée, il y a quinze jours à peine, une communication échangée entre le prince Milan et le grand-vizir de Constantinople ne faisait pas présager une rupture, elle ressemblait plutôt à une garantie de paix, et elle était interprétée ainsi. Aujourd’hui la Serbie entière est en feu, toute la population virile est appelée au combat et va grossir, au nombre de 100,000 hommes de tout âge, le petit noyau d’armée régulière, qui ne compte guère plus de 13,000 soldats. Toutes ces forces sont déjà aux frontières, organisées et distribuées en divisions sous les ordres de chefs dont l’un le général Tchernaïef, est Russe. Le prince Milan lui-même est parti pour le camp ; il ne manque plus qu’un signal pour ouvrir les hostilités. Que s’est-il donc passé depuis quinze jours ? y a-t-il eu quelque incident nouveau, quelque acte menaçant et agressif de la part des Turcs ? C’est au contraire le moment où la Porte se montre prête à négocier la paix avec les provinces insurgées et à donner des gages de ses intentions réparatrices. Comment expliquer dès lors cette précipitation de la Serbie à prendre les armes aujourd’hui, quand elle ne l’a pas fait il y a quinze jours, il y a deux mois ? Il serait étrange que l’entente qui a l’air de s’être opérée entre la Russie et l’Angleterre eût un rôle dans cette péripétie nouvelle, qu’elle fût devenue un encouragement à la guerre en laissant toute liberté à la Serbie, en la déliant des considérations qu’elle avait gardées jusqu’ici vis-à-vis de l’Europe. Il faut bien qu’il y ait une raison déterminante ! Les explications que lord Derby a données ces jours derniers dans la chambre des pairs auraient pu éclaircir à demi ce mystère. En réalité, elles ont été assez peu explicites sur