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vieil Olympe et du Brocken, point de salut ! Ondines ou naïades, elfes, tritons ou salamandres, le ballet ne sort pas de ce double monde du surnaturel, et s’il en sort ce n’est jamais que pour y rentrer après quelque méchante escapade tentée vers les régions de l’Opéra-Comique ou des Bouffes-Parisiens, comme il arriva dans le temps pour Scribe et Auber avec Marco Spada, et comme il est arrivé récemment avec Coppélia, dont tout l’effort de M. Léo Delibes et de sa jolie musique n’ont jamais pu faire un ballet réussi.

L’antique resterait peut-être encore l’unique voie : in rébus humanis est quidam circulus ; ce cercle-là, combien de fois ne l’a-t-on pas décrit ? La Sylphide et Giselle, la Péri, la Source et Sacountala, nous ont saturés de romantisme et d’orientalisme ; si maintenant nous retournions un peu au ciel d’Homère, aux bergers et bergères de Théocrite, qu’en pensez-vous ? Nous ne demandons pas qu’on nous rende Mars et Vénus ou les Filets de Vulcain, ce serait aller bien au-delà de nos vœux, mais nous estimons qu’il y aurait une réforme heureuse à tenter en évoquant le style néo-grec, et qu’une chorégraphie dans le goût de la poésie d’André Chénier aurait, par le temps qui court, grande chance de plaire. En ce sens, le ballet que l’Opéra vient de représenter a son point d’originalité ; j’y trouve je ne sais quel ressouvenir du charmant rococo d’Apulée. Qu’un berger galant aime une nymphe et qu’il ait pour rival le farouche Orion, la terreur des forêts, qui la lui enlève, cela se voit partout, mais le joli et le poétique de cette histoire est dans son dénoûment, dans cette leçon spirituelle et fine qu’Éros, le malin dieu, donne à l’inflexible déesse en lui montrant, empreinte sur la nue, la photographie de ses amours avec Endymion. Ce troisième acte, musicalement très distingué, produit un grand effet de costumes, de danses et de mise en scène ; le tableau final surtout vous séduit par son pittoresque essentiellement composite ; c’est de la mythologie-renaissance on ne peut mieux rendue, un vrai rêve de l’Albane ou du Carache. Sylvia, pourchassée par Orion, invoque l’appui de la déesse, qui soudain apparaît sur le seuil de son temple et d’une flèche bien décochée abat le monstre ; mais alors entre Diane et sa nymphe égarée s’établit un dialogue aigre-doux qui menacerait de tourner au tragique sans l’intervention d’Éros, un petit drôle très sûr de son fait, ne respectant rien, et capable de lancer son épigramme au nez de la moins patiente des olympiennes. La fille de Latone, irritée, reproche à Sylvia son amoureuse escapade avec le berger Amyntas, quand l’Amour tout doucement la rappelle à l’indulgence en faisant passer devant ses yeux une certaine image renouvelée de Girodet, et qui tendrait à prouver que, si les nymphes de Diane aiment les gentils bergers, la chaste déesse elle-même ne les a pas toujours dédaignés.

C’est la moralité de cette comédie, et je ne demanderais pas mieux