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tard que le premier par l’influence plus prochaine du latin sous une sorte de tutelle et dans une plus longue enfance. Pendant qu’aux XIe et XIIe siècles le français est déjà une langue littéraire qui s’exerce et triomphe en cent poèmes historiques, l’italien ne fait encore que se former sur les lèvres du peuple, qui croit continuer fidèlement la langue de ses pères. Au XIIIe siècle, les premières poésies, empruntant l’idiome national, retentissent ; mais quiconque se pique d’écrire et d’être lu se sert du latin ou du français. La langue italienne l’emporte au contraire pendant le siècle suivant ; donner toutes les raisons de ces vicissitudes, c’est précisément retracer l’histoire des influences littéraires en Italie ; bien plus, souhaiter, comme plusieurs l’ont fait, que l’idiome florentin en particulier rallie à soi les autres idiomes de la péninsule, c’est presque prendre parti dans le procès politique entre le système de la fédération et celui de l’unité italienne.

On comprend qu’un travail comme celui de M. Etienne échappe à l’analyse, étant lui-même une analyse sommaire, mais intelligente et précise, de tant de matières diverses. Il suffit de dire que les grands écrivains, Dante, Pétrarque, Boccace, l’Arioste et le Tasse, Guichardin et Machiavel, donnent lieu dans son livre à d’attachans récits, à des études d’une critique un peu réservée ou timide, mais qui, accompagnées de citations bien traduites, et quelquefois même de textes choisis, suffisent à renouveler les souvenirs de ceux qui savent et à préparer ou à diriger la lecture des inexpérimentés et des novices. L’auteur nous paraît bien un peu court sur tout ce que le souvenir survivant de l’antiquité classique a produit chez les Italiens de littérature et même de poésie latine : le XVe siècle érudit et tout le mouvement de l’humanisme n’obtiennent de lui que quelques pages ; mais mieux vaut en effet, puisqu’il lui fallait souvent abréger, qu’il ait réservé la place aux œuvres plus foncièrement italiennes. Arrivé au XIXe siècle, M. Etienne s’est trouvé en présence d’idées nouvelles, de mouvemens philosophiques et politiques auxquels ont été dues des œuvres telles que celles de Rosmini et de Gioberti, résumant le travail intellectuel de tout un peuple animé de puissans pressentimens. Il est clair qu’il y avait lieu de consacrer un attentif examen, même dans un simple manuel d’histoire littéraire, à des théories si parfaitement d’accord avec la pensée désormais commune à la nation, et bientôt même avec des réalités longtemps espérées et finalement conquises. C’est le mérite de l’auteur d’avoir bien compris ces liens intimes qui unissent ensemble les idées littéraires et les idées politiques ; ses derniers chapitres analysent avec une sérieuse sympathie mêlée de sages conseils les récentes transformations intellectuelles et morales du génie italien.


Le directeur-gérant, C. BULOZ.