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Pendant ce temps-là, le monarque anglais exécutait un rapide mouvement rétrograde, et, ayant pu refaire le pont de Poissy sans crainte alors d’être inquiété par l’armée ennemie, il franchit la Seine et en occupa ainsi la rive droite. Quoique les Français se départissent de temps en temps eux-mêmes de cette loyauté chevaleresque, Philippe de Valois ne pouvait pas se persuader qu’Edouard mît le succès de ses opérations stratégiques fort au-dessus de l’observance du droit des tournois, devenu pour notre noblesse une sorte de droit des gens. Aussi l’année suivante (1347), quand le roi d’Angleterre tint Calais assiégé, voit-on le roi de France persister dans les mêmes erremens. Celui-ci s’était avancé à la tête d’une nombreuse armée pour dégager la place ; mais il avait reconnu que son adversaire était dans une position inexpugnable. Il lui envoya des parlementaires afin de l’informer de son désir de faire lever le siège et pour lui avouer qu’il ne saurait l’attaquer là où l’armée anglaise était retranchée. Il lui faisait proposer, d’aviser de part et d’autre au choix d’un emplacement convenable où l’on pût se combattre. Edouard répondit à Eustache de Ribemont, qui avait porté la parole au nom de Philippe : « Allez dire à votre sire de ma part qu’il y a près d’un an que je suis établi ici et que j’y demeure. Votre maître le sait, et il ne tenait qu’à lui de me devancer. Je ne délogerai d’ici qu’après m’être rendu maître de la ville et du château. Si vous ne pouvez passer par le chemin qui mène à mon camp, c’est à vous d’en chercher un autre. » Les envoyés de Philippe de Valois s’en revinrent fort mortifiés, et celui-ci en fut réduit à décamper brusquement et à reprendre la route d’Amiens. Le roi Jean ne se départit pas des façons de procéder de son père, malgré les dures leçons que celui-ci avait reçues. Au commencement de juillet 1356, Henri, duc de Lancastre, regagnait la Basse-Normandie, de retour d’une chevauchée qu’il avait entreprise pour forcer les Français à lever le siège de Pont-Audemer ; il n’avait sous ses ordres que 900 hommes d’armes et 1,400 archers. Le roi Jean attendait les Anglais à Tubœuf, près de l’Aigle, avec son fils aîné Charles et une armée de 8,000 hommes d’armes, de 20,000 arbalétriers et d’autant de gens des communes. Au lieu de tomber sur un ennemi si peu en forces, le monarque français envoya deux hérauts offrir la bataille au duc de Lancastre ; celui-ci se garda d’accepter et profita du répit qui lui était donné pour s’échapper. Une institution du temps nous montre bien de quel esprit était animée cette chevalerie, soucieuse avant tout de montrer son courage et d’observer le point d’honneur. C’est l’ordre de l’Étoile, qu’avait fondé le roi Jean, après s’être inspiré, nous disent expressément les chroniqueurs Jean Lebel et Froissart, des souvenirs du roi Arthur et de la Table-Ronde. Un article des statuts de cet ordre veut que les