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lui-même ne peut se rendre aucun compte de sa valeur ? C’est ici le cas d’insister sur la responsabilité de l’état, qui naît évidemment de la réglementation des carrières. Supposons en effet que la profession médicale soit libre ; chacun choisit le médecin qui lui plaît et en qui il a confiance. L’état n’a rien à y voir. Si vous vous trompez, c’est votre affaire, ce n’est pas la sienne. Mais lorsque l’état interdit l’exercice de la médecine, sauf certaines conditions, lorsqu’il défend ainsi de s’adresser aux uns, ne garantit-il pas par là implicitement les autres ? N’est-ce pas comme s’il disait publiquement qu’on peut avoir confiance en eux : le diplôme signifie qu’aux yeux de l’état le médecin qui le possède a la moyenne de capacité à laquelle on peut se fier sans danger : s’il reste quelque degré d’incertitude, c’est seulement celle qui tient à la difficulté de la science et aux inégalités du talent. Un médecin diplômé est censé posséder la condition sine qua non de sa profession. En le désignant ainsi au choix du public et en excluant les autres, il est indubitable que l’état contracte une responsabilité morale et indirecte. Quant aux fonctions publiques, la responsabilité de l’état est non plus indirecte, mais directe ; elle n’est plus seulement morale, elle est concrète et positive, car il est positivement responsable de la bonne administration du pays. Mais qui acceptera une responsabilité à des conditions qu’il ne connaît pas ? Or des grades délivrés par des facultés privées sont évidemment pour l’état des conditions indéterminées. Ces facultés n’existent même pas encore : elles n’existaient pas du moins quand on a fait la loi. Comment pourrais-je savoir ce que seront leurs verdicts ? Comment pourrais-je garantir d’avance au public que les médecins qu’elles feront auront une science solide et suffisante ? Comment pourrais-je m’assurer d’avance que les licenciés en droit qu’elles me fourniront seront de bons fonctionnaires, de bons magistrats ?

La question de la magistrature est, avec celle de la médecine, la plus importante du débat. La magistrature est un pouvoir public, gratifié d’un privilège unique ou presque unique, l’inamovibilité, Sans doute ce privilège est établi dans l’intérêt public : c’est une garantie pour les citoyens. Il en résulte seulement pour l’état l’obligation d’être extrêmement sévère dans l’admission à des fonctions si élevées. Ajoutez que la magistrature tient en sa main les plus grands intérêts des hommes, la fortune, la liberté et même la vie ; . enfin que ce ne sont pas des fonctions qu’on exerce par le simple bon sens ou à l’aide de la seule conscience : il y faut encore une grande science, égale à celle qui est nécessaire à la médecine ou à l’enseignement. C’est à peine si les conditions existantes sont suffisantes, car on n’exige pas plus pour un magistrat que pour un