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l’Europe est la possibilité d’une combinaison entre la France et la Russie, combinaison empêchée en ce moment par les sentimens de l’empereur Nicolas, mais qui ne sera pas toujours aussi impossible qu’aujourd’hui. » (Lettre à Granville, 8 juin 1838.)

Il est prêt toutefois à agir sans la France, s’il le faut, contre la France, s’il se peut. Pour se tenir en équilibre entre la Russie et la France, il propose une conférence des cinq puissances à Londres : il ne voudrait livrer la Turquie ni à l’amitié moscovite, ni à l’amitié française, il veut lui faire un bouclier de l’Europe ; il s’élève contre ce vieux thème : la chute imminente de l’empire ottoman ; les empires ne tombent pas tout seuls, ils sont renversés du dehors. « Il est de l’intérêt de l’Angleterre que le sultan soit fort, et il est clair qu’il est plus fort avec la Syrie et l’Égypte que sans ces provinces. Je suis donc d’avis qu’on maintienne l’intégrité de l’empire. » (Lettre à H. Bulwer, 22 septembre 1838.)

Quand on arriva aux détails, l’accord ne dura pas. La France répugnait à prendre des mesures coercitives contre Méhémet-Ali ; l’opinion publique l’avait choisi comme une idole, elle s’exagérait ses ressources ; on ne se demandait pas combien de temps il pourrait guerroyer dans l’Asie-Mineure, dès que ses communications maritimes seraient coupées par une flotte anglaise. Le vieux pacha était à la mode, et l’exécuteur sommaire des mamelouks était vanté comme un apôtre de civilisation.

Palmerston ne voyait pas sans joie la France pencher vers une cause qu’il savait pouvoir accabler à un moment donné avec les forces de toute l’Europe ; il visait la France à travers le pacha rebelle. « Les Français n’ont que trois voies à suivre, écrit-il à Bulwer, alors à Paris, — ou marcher droit avec nous et remplir honnêtement les engagemens pris avec nous et l’Europe, ou se tenir à l’écart et reculer devant l’exécution de leurs propres déclarations, ou enfin aller en avant et se liguer avec Méhémet-Ali et employer la force… Je ne crois pas que Louis-Philippe soit égal à la dernière tâche. La seconde est celle qu’il préférera. » (1er septembre 1839.)

Palmerston avait jeté la sonde dans le nouvel envoyé de la Russie, M. Brunnow, diplomate encore obscur, sorti de la nuit des chancelleries, jaloux de faire un début, de se signaler par quelque acte important et de se lier à un de ces hommes puissans qui attirent ceux qui les servent à leur propre hauteur et les imposent à tout le monde. Palmerston excellait dans l’art de faire prisonniers les hommes qu’il jugeait intelligens. Brunnow en vint à déclarer que non-seulement son gouvernement était prêt à faire immédiatement une convention avec l’Angleterre, l’Autriche et la Prusse, il la ferait avec ou sans la France : « personnellement l’empereur Nicolas