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écrivait-il le 19 juillet 1846. Il se soucie peu au fond de tel ou tel infant, mais Cobourg est dans toutes ses combinaisons : « Le meilleur arrangement serait que Enrique épousât la reine et Cobourg l’infante. » Il n’a pourtant pas d’illusions sur son candidat, et il en parle avec une étrange liberté (voir la lettre à Bulow du 16 août 1846), il ne voit en lui visiblement qu’un instrument commode.

Quand M. de Jarnac lui apprend le double mariage de la reine et de l’infante, il lui écrit de Penzance : « Je ne vous parlerai plus d’entente cordiale, parce que ce qu’on nous annonce ne prouve que trop clairement qu’on ne veut plus à Paris ni de cordialité, ni d’entente. » La colère déborde dans ses épanchemens à Bulwer : « Nous sommes indignés de la mauvaise foi, de l’ambition sans scrupules, des basses intrigues du gouvernement français. » Il répète que le roi et M. Guizot, à Eu, ont assuré personnellement à la reine et à Aberdeen que le mariage de l’infante ne se ferait pas avant que la reine Isabelle n’ait des enfans ; il se garde d’ajouter que lui-même se préparait à donner un mari à l’infante, le même jour qu’à la reine, que c’est sur les conseils de l’Angleterre que la reine Christine insistait sur les mariages simultanés. Il écrit à lord Normanby (27 septembre 1846) : « La reine a écrit une lettre chatouilleuse (a tickler) au roi des Français, en réponse à la sienne. Toutes deux ont passé par la reine des Belges. » Nous ne parlerons pas de cette correspondance royale ; la reine Victoria était certainement convaincue que son gouvernement n’avait fait aucun effort pour mettre le prince de Cobourg sur le trône d’Espagne ; elle en était restée aux conversations familières d’Eu. Elle voulait ajourner le mariage de l’infante ; mais cette politique n’était ni celle de Bulwer, ni celle de Palmerston, ni celle de tous les agens qui s’employaient sans relâche pour le prince de Cobourg. On ne peut pas avoir à la fois les bénéfices du désistement et de l’ambition, pratiquer le renoncement à un étage de la politique et l’avidité dans un autre.

Il avait convenu à lord Palmerston d’engager une lutte acharnée, de traiter la France en ennemie, l’Espagne en vassale ; s’il avait mis Cobourg sur le trône d’Espagne, il eût bien ri de la candeur de ceux qui eussent accusé sa diplomatie d’incorrection ; mais il se crut toute sa vie permis ce qu’il voulait interdire à tout le monde. Lord Clarendon disait plaisamment que tous les commandemens du Décalogue pouvaient être remplacés par un seul : « tu ne seras pas découvert. » Lord Palmerston en avait inventé un autre : « ne faites pas à l’Angleterre ce que vous trouverez bon qu’elle vous fasse. »


AUGUSTE LAUGEL.