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comme un épisode d’une mélancolie furtive disparu dans le mouvement tumultueux des choses. Peu auparavant, pendant l’année 1858, le cabinet de Vienne avait envoyé l’archiduc Maximilien comme vice-roi en Lombardie avec une mission de paix et de conciliation. L’infortuné prince promis par son destin à la tragédie mexicaine était arrivé à Venise et à Milan plein d’intentions libérales. Il avait pour lui la jeunesse, la bonne grâce hardie, l’intérêt bien entendu de l’Autriche, les conseils du prudent Léopold de Belgique, dont il venait d’épouser la fille, — et par le roi Léopold l’encourageante faveur de l’Angleterre. Maximilien avait pris sa tâche au sérieux. Dans une course qu’il avait faite au Lac-Majeur et dans une conversation qu’il avait eue avec le ministre de Prusse à Turin, le comte Brassier de Saint-Simon, il avait parlé de Cavour dans les termes les plus sympathiques. « J’admire beaucoup M. de Cavour, disait-il, mais comme il s’agit de faire une politique de progrès, je ne me laisserai pas devancer. » Cavour, qui faisait attention à tout et ne dédaignait rien, n’avait pas été sans s’émouvoir de cette tentative, qui pouvait déconcerter tous ses plans, et depuis il avouait que la mission de l’archiduc Maximilien avait été un de ses plus vifs soucis. Supposez un instant que l’Autriche, forte d’un droit territorial incontesté et d’une puissance militaire qui lui permettait les concessions sans déshonneur, eût persisté dans cette libérale pensée, désintéressant autant que possible le sentiment national italien, adoucissant son régime et prenant l’Europe à témoin ; supposez ce rêve devenant une réalité par le gouvernement pacificateur d’un archiduc, que d’événemens pouvaient être changés depuis la guerre de 1859 jusqu’à la guerre de 1866 et à tout ce qui s’en est suivi, en passant par le Mexique !

Dût-elle ne point réussir, c’était du moins une politique à essayer ; mais par un de ces emportemens ou un de ces faux calculs dont elle a donné plus d’un exemple et qui lui ont toujours coûté cher, l’Autriche, aux premiers signes d’une crise possible, se rejetait effarée vers ses traditions d’immobilité et de répression. Elle ne se bornait pas à révoquer la mission de l’archiduc Maximilien, elle aggravait partout le régime militaire. Elle avait déjà commencé ses préparatifs de guerre avant le 1er janvier 1859, elle les précipitait fiévreusement au lendemain du 1er janvier, envoyant corps d’armée sur corps d’armée en Italie, organisant ses forces comme à la veille d’une entrée en campagne, et allant jusqu’à prendre position sur le Tessin, en face du Piémont. Quelques-uns de ses officiers, emportés par l’ardeur belliqueuse, commettaient bien d’autres imprudences. Dans des banquets, à Milan, ils ne parlaient de rien moins que du prochain départ pour Turin, — qui devait être la première