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l’empire, un tourbillon d’opposition. Les uns, et c’étaient des esprits sérieux, voyaient, dans la guerre qui semblait se préparer, des bouleversemens d’équilibre dont les intérêts traditionnels de la France auraient nécessairement à souffrir. Les autres voyaient dans un conflit en Italie une menace pour la situation temporelle du pape. Paris, le Paris mondain, passionné et pensant, que l’empire ne comptait guère et qui néanmoins avait son influence d’opinion, ce Paris était pour la paix. Cavour ne l’ignorait pas ; il se savait appuyé par bien des esprits libéraux, il ne pouvait se dissimuler les dispositions d’une partie de la société parisienne, et il savait aussi que jusque dans les conseils impériaux le ministre des affaires étrangères, le comte Walewski, partageait jusqu’à un certain point ces dispositions peu favorables à l’action pour l’Italie.

Chose bizarre et pourtant vraie ! Napoléon III, dans le secret de sa pensée, restait évidemment attaché à la cause pour laquelle il avait noué l’alliance de Plombières et de Turin ; le comte Walewski parlait et agissait en ministre pratiquant une autre politique, la politique de la répugnance pour la guerre avec l’Autriche, de la sévérité à l’égard du Piémont et de l’Italie, de la défiance et même presque de l’hostilité personnelle à l’égard de Cavour. Dans un gouvernement d’omnipotence, il y avait une sorte de conflit intime de directions à l’abri duquel l’empereur, par inertie ou par calcul, semblait se complaire, couvrant sa marche des déclarations et des efforts pacifiques de son ministre, qu’il laissait s’avancer sans lui dire son dernier mot. Napoléon III, lui aussi, voulait ménager l’Angleterre ; il voulait paraître subir la guerre et ne prendre les armes que dans l’intérêt de la paix, des principes conservateurs, de l’équilibre de l’Europe, compromis ou menacés par l’Autriche en Italie. Il laissait le comte Walewski jouer sur ce thème-là en négociateur parfaitement sincère, de telle sorte que Cavour, ayant déjà assez d’embarras avec l’Angleterre, se trouvait de plus en présence de ce casse-tête d’une double politique française. Soutenu à Paris par l’empereur, qui ne parlait pas tous les jours, il avait d’un autre côté affaire aux salons, aux puissances financières, aux influences religieuses, à la diplomatie régulière et officielle, qui dans les intervalles du silence impérial avait la parole.

Bien des fois pendant ces semaines laborieuses, agitées, du commencement de 1859, Cavour, obligé de faire face à toutes les difficultés et à tous les périls, se voyait réduit aux plus pénibles anxiétés par ces contradictions incessantes dont il sentait le poids. Il ne se laissait pas arrêter, il marchait toujours à travers les péripéties intimes qui se succédaient en s’aggravant. Au moment où éclatait la proposition de congrès surtout, vers le 20 mars, la