Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 16.djvu/38

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’action, tomba deux fois aux mains de ses adversaires. Charles de Blois, qui commandait ses troupes en personne, fit des prodiges de valeur et reçut dix-sept blessures avant de se rendre. Les chefs des plus grandes familles de Bretagne, les Rohan, les Laval, les Rougé, les Châteaugiron, les Châteaubriant, trouvèrent la mort en combattant aux côtés de leur duc. Une foule d’autres furent faits prisonniers par les Anglais. C’était la ruine du parti français en Bretagne, un désastre qui fut pour la province ce que devait être neuf ans plus tard la bataille de Poitiers pour la France. La cause de Charles de Blois semblait désespérée ; il était prisonnier en Angleterre. Jeanne de Flandre, qui avait, pour prendre l’expression de Froissart, cœur d’homme et courage de lion, soutenait énergiquement les droits de son jeune fils Jean, qui avait reçu Edouard III pour tuteur ; mais l’intervention de l’étranger en sa faveur donnait à la cause opposée le caractère d’une guerre nationale, et tous les élémens de résistance contre le vainqueur étaient loin d’être détruits.

Les Anglais étaient sans doute maîtres de la quasi-totalité de la Bretagne, ils n’avaient pas assez toutefois de troupes pour l’occuper entièrement. Cette province était couverte de châteaux qui formaient autant de forteresses dont le réseau enveloppait la presqu’île ; les Anglais n’avaient pas non plus des ressources pécuniaires suffisantes pour subvenir aux frais d’une guerre qui se prolongeait. Aussi, quand la campagne que couronna la victoire de Crécy eut épuisé son trésor, Edouard III en fut-il réduit à donner à ferme et le duché et les châtellenies. Le 10 janvier 1347, il autorisa Thomas de Dagworth à toucher tous les revenus et profits du duché, à la condition de pourvoir à la défense des places, à l’entretien et à la solde des garnisons. Le capitaine anglais sous-afferma à son tour le sol breton et livra, moyennant finances, les châtellenies à ses avides compagnons d’armes. Ce déplorable système dura longtemps, car le 13 janvier 1360 on voit le roi d’Angleterre donner au célèbre partisan Robert Knolles la garde des châteaux de la Gravelle, du Fougeray, de Châteaubriant, à la condition de payer à l’échiquier d’Angleterre une redevance annuelle de 2,000 florins. Une nuée d’Anglais, attirés par l’espoir du gain, s’abattit sur la province, et moyennant forfait ils se firent mettre en possession des places fortes, d’où ils pressurèrent impitoyablement la population ; le métier devint si lucratif qu’il suscita pour ainsi dire la contrefaçon. Edouard III se vit obligé d’interdire à ses sujets d’élever des forteresses dans le duché de Bretagne, car c’était de la sorte que les vainqueurs s’assuraient de nouveaux moyens d’étendre leurs brigandages, qui se poursuivirent même pendant la trêve de 1347. Le monarque anglais finit par s’apercevoir que les bénéfices