Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 16.djvu/381

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jours, on ne savait plus rien, et Cavour lui-même en venait à dire : « L’Autriche ne parle pas ; si elle refusait, Napoléon l’aurait donc devinée ! » Le cabinet de Vienne ne parlait pas en effet, et il restait muet parce qu’il avait déjà pris son parti.

L’Autriche cédait-elle à un mouvement d’orgueil blessé et impatient ? Ne voyait-elle dans la proposition extrême qui lui était faite qu’un expédient captieux imaginé pour gagner du temps ? Se croyait-elle en mesure de devancer ses adversaires sur le champ de bataille, de déjouer leurs plans par la rapidité et la vigueur de ses coups ? Toujours est-il que, pendant ces négociations de la dernière heure, tandis que la diplomatie croyait avoir enfin trouvé une solution, l’Autriche se disposait à brusquer les événemens. Elle avait fait, elle aussi, une dernière tentative à Berlin pour tâcher d’intéresser la Prusse et l’Allemagne à sa cause en étendant la guerre, en proposant d’ouvrir la lutte sur le Rhin comme sur le Pô. Bien que n’ayant point réussi, elle se laissait emporter par l’humeur belliqueuse ; elle voulait en finir, et sans plus attendre elle avait pris la résolution d’adresser directement à Turin un ultimatum sommant le Piémont de désarmer et lui laissant un délai de trois jours pour réfléchir. C’était tout ce que Cavour pouvait demander de mieux dans l’impasse où il croyait être, et il n’avait d’autre crainte que de voir l’Autriche s’arrêter. Le 19 avril, il ne savait rien encore, il ne se doutait pas que ce jour-là même l’ultimatum était déjà tout prêt à Vienne. Le 21, il commençait à saisir les premiers signes du prochain coup de théâtre. Le 23, il était à la chambre des députés, au palais Carignan, lorsqu’un mot tracé à la hâte par un de ses confidens lui apprenait l’arrivée du baron de Kellersperg, porteur d’une communication du comte de Buol, et peu après, à 5 heures 1/2, au ministère des affaires étrangères, il recevait des mains de l’envoyé autrichien cette communication qui n’était autre que la sommation de désarmement. Trois jours après, à la même heure, — c’était le délai fixé, — il remettait la réponse du gouvernement piémontais à M. de Kellersperg, dont il serrait courtoisement la main en lui témoignant le désir de le revoir « dans des circonstances plus heureuses. » Aussitôt il donnait ses derniers ordres au colonel Grovone, chargé d’accompagner l’officier autrichien à la frontière, puis, se tournant vers quelques-uns de ses amis qui attendaient la fin de la scène, il s’écriait avec une familiarité confiante, avec ce naturel qui ne l’abandonnait jamais : « Tout est fini… Alea jacta est ! Nous avons fait de l’histoire, maintenant allons dîner ! »

Assurément l’Autriche pouvait prétendre qu’elle avait été poussée à bout. Elle avait bien quelque raison de croire et de dire qu’elle ne faisait que se défendre en plaçant sous la sauvegarde des armes