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dans le domaine où règnent les ingénieurs ! Il faut donc se familiariser avec l’idée que le voyage de Paris à Calcutta ou à Changhaï pourra être fait en dix jours, dans des wagons confortables, aménagés à l’américaine. Dès lors il est intéressant de passer en revue les divers tracés qui ont été proposés pour le chemin de fer transasiatique, et nous ne pourrions pour cela prendre de meilleur guide que M. Ferdinand de Hochstetter, le célèbre naturaliste de l’expédition de la Novara, qui vient de publier sur cette question un ouvrage rempli de faits et de chiffres puisés aux meilleures sources.


I.


Le grand obstacle auquel se heurtent tous les projets qui ont pour but de relier l’Inde ou la Chine à l’Europe par une route de terre, c’est la vaste intumescence du sol qui forme le cœur du continent asiatique. On peut regarder comme le centre de ce massif le plateau de Pamir, le « toit du monde, » qui offre une élévation moyenne de 4,000 mètres, et d’où rayonnent vers l’est les chaînes de l’Himalaya, du Karakorum, du Kouen-loun et du Thian-chan, dont les plus hauts sommets ont une altitude presque double de celle du Mont-Blanc, puis vers l’ouest l’Hindou-Kouch (le Paropamisus des anciens), qui soude par une sorte d’isthme étroit les hautes terres de l’Asie centrale au plateau de l’Iran, et sépare ainsi les plaines de l’Hindoustan de celles de la Tartarie et de la Caspienne. C’est par les gorges du Paropamisus que passèrent les armées d’Alexandre ; c’est là que se trouve, comme l’a dit un célèbre géographe, « la principale porte des nations aryennes, le défilé par lequel passaient les flux et les reflux des guerres, des migrations, du commerce. » C’est peut-être le point de la terre qui a joué le plus grand rôle dans l’histoire de l’humanité. Plus au nord, on rencontre la chaîne de l’Altaï, que sépare des monts Thian-chan une large brèche par laquelle les hordes mongoles se sont jadis ruées sur l’Asie-Mineure et l’Europe.

Il résulte de cette configuration de l’Asie centrale que les tracés des voies de communication destinées à relier l’occident à l’orient ou le nord au midi sont obligés de faire des détours pour éviter le massif du milieu, ou de le franchir par des défilés vertigineux. Ces tracés, dont le nombre est déjà considérable, ont pour objet, soit de mettre l’Europe en communication directe avec l’Inde par une route qui partirait d’un point de la Turquie d’Asie ou d’une tête de ligne russe, soit d’aller d’Europe en Chine par la Sibérie ou l’Asie centrale. Ils se ramènent au fond à quatre types principaux, que l’on pourrait désigner d’après les nationalités des promoteurs : 1° le projet anglais, auquel se rattache entre beaucoup d’autres le nom de