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combattans seraient mis par grosses routes, c’est-à-dire par compagnies de 25, 30, 50 et jusqu’à 80 chevaliers, suivant la noblesse et le rang du capitaine. Cependant la nécessité de combattre à pied s’imposait en présence de la tactique des Anglais ; mais les chevaliers voulurent eux-mêmes s’en charger : ils descendaient de cheval et, tout vêtus de leurs armures, dont ils se bornaient à rejeter les pièces les plus incommodes, ils soutenaient avec résolution le choc de l’ennemi. C’est ainsi qu’ils en agirent non-seulement à Poitiers, mais à Cocherel, à Auray, à Rosebecque, et plus tard à Azincourt, à Crevant et à Verneuil. On pense bien qu’une pareille infanterie n’était guère moins pesante, moins difficile à faire manœuvrer que l’était la chevalerie montée sur ses chevaux bardés de fer. L’avantage des fantassins, qui n’avaient point à traîner un si lourd attirail, s’était pourtant manifesté aux chevaliers français dans plus d’un engagement particulier, et la vie de Du Guesclin nous en fournit la preuve dans ce fameux duel avec Thomas de Canterbury, qui a été l’un des hauts faits de sa jeunesse, car c’est en mettant pied à terre et en combattant comme un simple fantassin, tandis que son adversaire, privé d’épée, refusait de descendre de cheval, que Bertrand, qui s’était débarrassé de ses armures de jambes, s’assura la victoire. Il fallut pour dessiller, en partie du moins, les yeux au roi Jean et à son entourage la terrible défaite de Poitiers, qui consacra la supériorité de l’armée anglaise et mit dans une triste évidence l’infériorité de la tactique dans laquelle s’entêtait follement notre noblesse.

Le tir des archers y écrasa notre gendarmerie. Crécy, comme le dit l’historien de Du Guesclin, avait bien été une défaite, mais Poitiers fut un désastre. Nos chevaliers s’y firent sottement tuer, et, quoiqu’ils eussent l’avantage du nombre, leur inintelligence militaire n’en sut pas tirer parti. Les défaites répétées qu’elle subissait n’avaient servi de rien. Dans maintes occasions, comme par exemple à la bataille de Mauron, livrée le 14 août 1352, et qui vint abattre encore une fois le parti français en Bretagne et ruiner les espérances de Charles de Blois, les saiettes que faisaient pleuvoir les Anglais avaient arrêté la fougue inconsidérée de nos chevaliers. A Poitiers, alors que nos chevaliers auraient dû mettre pied à terre pour, combattre, ils étaient à cheval, et lorsqu’ils auraient dû remonter sur leurs coursiers pour repousser les hommes d’armes anglais témoins de la déroute de l’avant-garde française et qui s’élançaient au grand galop dans la plaine, remontés qu’ils étaient sur leurs chevaux, les nôtres mettaient précisément pied à terre pour soutenir le choc de cette charge impétueuse ; mais si dans cette bataille les Français ne surent ni reconnaître la forte position de