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hardiesse calme et calculée qui marquera, je le crois, une date dans l’apologétique chrétienne. Rien de pareil n’avait été, je ne dis pas conçu (l’évêque anglais Butler, dans son Analogie, a eu quelque dessein semblable), mais exécuté avec cette résolution et poussé jusqu’à son dernier terme avec ce courage logique qui ne se fatigue pas à travers les problèmes les plus ardus, qui ne se dément pas un instant et qui se développe vers le but comme un théorème, sans exclure, chemin faisant, l’emploi des facultés les plus libres et les plus délicates de l’esprit.

On ne doit pas s’étonner qu’avec de pareilles préoccupations les recherches et les discussions philosophiques fussent à l’ordre du jour dans ce salon, au moins vers les dernières années. Je ne doute pas que M. Doudan n’ait eu une grande part dans l’ouvrage de M. le duc de Broglie, parce qu’il en avait une grande dans la conversation de chaque jour. Il représentait l’objection ; il n’y mettait aucune obstination, aucun parti-pris ; mais enfin c’était sa tournure d’esprit, c’était l’aspect sous lequel il se montrait tout d’abord, excellant à saisir le point faible d’une doctrine, et par là que de services il rendait à ceux qui jouissaient du libre commerce de sa pensée ! D’un mot, il avertissait les esprits entraînés sur la pente de leur idée, il les mettait en défiance contre un raisonnement trop facile, il montrait la contradiction possible sous l’argument d’école, il arrêtait d’un sourire la tentation de l’infaillibilité, qui se rencontre en philosophie comme ailleurs, et dans toute cette partie du grand ouvrage de M. le duc de Broglie où sont exposées avec un art implacable les difficultés de tous genres et les antinomies des doctrines, il semble bien que l’on reconnaisse souvent l’écho de cette fine dialectique contre les systèmes, l’ironie de ce nouveau Socrate, un Socrate tout intime et tout familier, sans l’Agora, sans les disciples, mais aussi sans la prison et sans la ciguë.

C’était certes une physionomie originale et qu’on n’oubliera plus, si on l’a vue une fois. Quant à la biographie de M. Doudan, elle était aussi simple que possible, et c’est une de ces histoires où il n’y a eu, à vrai dire, que des événements d’idée ou de sentiment. Il n’aimait pas d’ailleurs que la curiosité, même celle de ses amis, y pénétrât. On nous dit qu’il usait de ruses innocentes pour dérouter les conjectures sur son âge, sur son passé, sur sa famille. Il ne parlait jamais de lui-même pendant sa vie ; ce que l’on a appris depuis sa mort se réduit à fort peu de chose. Les souvenirs de M. de Sacy en ont fourni la meilleure part. Né à Douai, au commencement du siècle, d’une famille modeste, après des commencemens pénibles, nous le retrouvons, de 1820 à 1825, répétiteur au collège de Henri IV, se préparant à prendre ses grades dans l’Université, se consolant de son métier laborieux et de sa pauvreté dans l’intimité de quelques