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montre dans son emploi véritable de directeur de consciences littéraires. C’était, à ce qu’il paraît, un spectacle divertissant de voir les appréhensions mal déguisées de M. Villemain, si ombrageux à l’égard de l’opinion, si inquiet pour chacun de ses ouvrages, lorsqu’après avoir mis au jour quelque nouvelle production, il rencontrait pour la première fois Mr Doudan et attendait son jugement, « M. Doudan, nous dit-on, jouissait discrètement de cette juste autorité, comme il faisait de toutes choses. Non-seulement sa modestie ne l’empêchait pas de se reconnaître juge excellent en littérature, mais il avait la prétention très fondée d’être un merveilleux éducateur des intelligences. Il se vantait d’être plus que personne habile à faire sortir d’un esprit tout ce qu’il était capable de produire. » C’était son don particulier d’étudier pour son compte et d’expliquer aux autres les règles du goût en matière de composition fit de style. » Il en a donné des preuves multipliées presqu’à chaque page de sa correspondance, où l’on voit cette faculté en acte, et les conseils les plus justes, les plus fins, les plus délicats en matière de goût, donnés avec une complaisance et une bonne grâce charmantes. On pourrait extraire de ces pages quelques préceptes exquis sur l’art d’écrire, qui, sans rien avoir de scolaire ni de pédantesque, présenteraient un vif et piquant enseignement, utile à tous aussi bien qu’à ceux auxquels ils étaient adressés.

Je ne dirai pas cependant, avec M. d’Haussonville, que ce soit là sa faculté maîtresse. S’il y en a une, dans cet esprit si bien doué, où rien n’excède, où tout est si naturellement tempéré, c’est celle de l’observation morale. Là était vraiment son penchant inné, sa supériorité de nature : il avait en lui la vocation du moraliste, dans le sens large et français du mot. Il était né pour observer et peindre les hommes et pour saisir dans la variété de leur physionomie individuelle l’unité persistante de quelques traits fondamentaux, pour discerner les analogies et les contrastes du personnage humain, pour retracer quelques-uns des jeux de la scène. Il s’y intéressait au plus haut point. L’homme dans les livres et l’homme dans le livre vivant du monde, ce fut là sa constante étude. La plupart de ses lettres, si l’on met à part les détails intimes et les affections privées, sont d’inimitables, de ravissans petits chapitres de la comédie contemporaine. Il était là aux premières loges pour la voir et pour en jouir, plus près de la scène encore, dans les coulisses ; il a largement profité du spectacle et il nous en a donné une image qui restera. N’y a-t-il pas quelque ressemblance à cet égard, toute proportion gardée d’ailleurs, entre sa situation et celle d’un autre moraliste dont M. Doudan ne me permettrait pas de rapprocher l’illustre nom du sien, La Bruyère ? C’était aussi d’une mansarde, c’était de quelque rue aussi obscure que celle des Sept-Voies que La Bruyère était