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ministère, des résistances décousues que semblait opposer la chambre, M. le président de la république ait demandé un jour ou l’autre à ses conseillers s’ils avaient définitivement une majorité ; supposez qu’allant un peu plus loin, il ait demandé si on voulait lui rendre le gouvernement impossible, le placer dans l’alternative d’accepter un autre ministère qu’il ne subirait pas ou de recourir à une dissolution ; supposez que quelque chose de semblable se soit passé, est-ce que M. le président de la république ; n’aurait pas été dans la vérité et dans son droit ? Si les politiques qui sont dans la chambre ont un peu de prévoyance, ils profiteront de ce qui vient d’arriver, et après avoir rallié une majorité à un expédient qui n’a de valeur que par les circonstances qui l’ont rendu nécessaire, ils s’efforceront de la maintenir, de l’organiser. C’est dans des momens comme ceux-ci que des hommes tels que M. Casimir Perier laissent un vide profond en disparaissant par une mort qu’on peut bien appeler prématurée, M. Casimir Perier n’avait pas plus de soixante-cinq ans. Il avait plus que bien d’autres contribué à l’établissement de la république, et il l’avait fait par raison, par patriotisme, sans préoccupation de parti, parce qu’il voyait que le régime auquel il eût voué ses préférences était aujourd’hui impossible. Il portait aux institutions nouvelles, qu’il avait adoptées sans illusion comme sans arrière-pensée, l’autorité d’un nom qui est resté un symbole d’ordre en France, la modération d’un esprit éclairé, l’éclat et la force d’une position considérable, l’expérience d’un homme qui avait passé par toutes les affaires de la diplomatie et des finances. Nul mieux que lui ne pouvait être un conseiller prudent et indépendant pour le régime nouveau. On était bien sûr qu’en acceptant la république M. Casimir Perier n’avait entendu livrer ni l’ordre et la sécurité de la France au dedans ni son honneur au dehors ; il avait voulu mettre fin à des incertitudes dangereuses pour tourner tous ses efforts vers cette réorganisation nationale qui est restée le dernier désir de son âme patriotique, et c’est ce qui fait de sa mort un deuil pour le pays comme pour ses amis, après une vie noblement employée au service public.

Les démêlés intérieurs, les agitations de couloirs parlementaires, les crises de majorité pâlissent devant la lutte qui vient de s’ouvrir, qui a déjà ensanglanté l’Orient et qui laisse pour le moment l’Europe dans une expectative inquiète. A vrai dire, la guerre commence à peine, elle n’en est qu’à ses premiers épisodes.

En réalité, une seule chose est certaine jusqu’ici. Les hostilités entre les Serbes et les Turcs se sont ouvertes aux premiers jours de ce mois. Le Monténégro de son côté est entré également dans la Lutte comme allié de la Serbie. L’action militaire paraît s’être engagée vivement sur la frontière ; les engagemens sanglans se sont succédé du côté de Widdin et du Danube en même temps que sur la Drina, dans la vallée de