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quelque école qu’elles se produisent, qu’indifférente au titre que portent ces écoles. Le nouveau, en fait de méthodes et d’idées, voilà tout ce qu’on demande aux œuvres qui y sont accueillies. Les savans, d’autre part, se font philosophes, ou, pour mieux dire, laissent s’ouvrir leur esprit à des conceptions familières aux philosophes, du moment qu’elles semblent sortir naturellement de l’étude des faits, et s’imposer à la science pure. Pendant que des métaphysiciens comme MM. Ravaisson, Janet, Lévêque, Fouillée, Lachelier, cherchent, au fond même des théories nouvelles, dans les théories du mécanisme, de l’évolution, du transformisme, de l’association, ce qu’il peut y avoir de vrai et de conciliable avec les idées qui leur sont toujours chères, des physiologistes, comme M. Claude Bernard, retrouvent dans les phénomènes de la nature vivante qu’ils étudient, des argumens décisifs en faveur de ces mêmes idées, à la grande surprise d’autres savans à l’esprit plus systématique, à la vive satisfaction des philosophes tout heureux de rencontrer de tels auxiliaires pour leur propre cause.

C’est là toute une révolution dans le monde philosophique, laquelle gagne de plus en plus les esprits qui ne sont pas irrévocablement fixés aux dogmes des vieilles écoles, et vient de créer une situation nouvelle, féconde en promesses d’avenir. Ici l’on peut affirmer que ces promesses ne seront pas trompeuses comme tant d’autres que la philosophie a faites antérieurement, parce qu’elle a enfin trouvé un terrain solide, sur lequel la science l’aidera à élever ses constructions. Ce n’est point à dire que là encore il n’y ait à craindre, comme par le passé, l’esprit de système, le goût des hypothèses, l’activité de l’imagination, toujours prête à se substituer à l’observation et à l’analyse ; mais les erreurs, les méprises, les créations artificielles, ne pourront tenir longtemps devant les révélations irrésistibles de la science. Tant que la philosophie eut la prétention d’avoir une méthode à elle, une source propre d’informations, un critérium à part pour ses théories, elle pouvait persister dans l’illusion de ses croyances, dans l’engoûment de ses systèmes, n’étant avertie que par la diversité et la lutte des doctrines. Cet entêtement n’est plus possible devant les faits que l’observation et l’analyse opposeront à un dogmatisme prématuré. Une telle situation nous paraît d’autant plus décisive pour les destinées de la philosophie qu’elle se caractérise bien moins par la nouveauté des doctrines que par un changement radical dans la direction de la pensée philosophique. S’il y a encore des tendances diverses et même contraires entre lesquelles se partage le monde philosophique, s’il y a des écoles qui maintiennent le vieux drapeau, un esprit commun les anime dans la lutte des doctrines : c’est l’unité de méthode, dans