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Moscou à peu près à la même époque, évita ce mécompte. Il laissa derrière lui le confluent de l’Ousa et ne quitta le lit de la Petchora que lorsqu’il fut parvenu, après trois semaines du plus rude labeur, aux bouches de la Shugor et de la Podtcheria. Entre les deux rivières, les soldats firent un dépôt des vivres qu’ils avaient apportés de Russie. Ils visitèrent ensuite la contrée que bordent d’un côté le mont Cameni-Bolchoï, de l’autre la Petchora, vaste bassin qui n’a vers le nord de limites que « la mer et les îles d’alentour. » La colonne russe trouva tout cet espace rempli « d’innombrables nations, » d’oiseaux de toute espèce, d’animaux de toute sorte : zibelines, martres, castors, loutres, hermines, écureuils, sans compter sur terre des loups et des ours blancs, dans l’Océan, la baleine et le morse. Séduits par l’importance de cette première conquête, les sujets de Basile résolurent de faire un pas de plus vers l’Oby, et, pendant trois semaines, ils ne cessèrent de marcher à l’encontre du courant, pour se rapprocher autant que possible des sources de la Shugor. Du point que leurs barques, volant presque à fleur d’eau, purent ainsi atteindre, il ne fallut que trois jours pour gagner le revers interdit au capitaine Kourbski et au kniaz Dchatoï. Qu’aperçurent les Russes, quand ils se trouvèrent sur la pente orientale du Zemnoï-Poyas ? Ils virent « un grand pays, une contrée sauvage, toute couverte de cèdres, ayant des habitans, n’ayant pas de maisons. » C’était la Lucomorie. Par la rivière d’Artavicha et la rivière Sibir, les hardis Argonautes gagnèrent la Sosna, dont les eaux vont directement grossir l’énorme volume de l’Oby. Quelques années plus tard, un château fut bâti à l’embouchure du fleuve, et tout le littoral compris entre Poustoser et Obdorsk reconnut, nominalement du moins, la puissance de Vasili IV.

Le cours supérieur de l’Oby était occupé par des peuplades moins faciles à soumettre que les timides Vogouls, et pendant près d’un siècle, ce fut la Permie qui dut de ce côté se tenir sur la défensive. Pour remonter d’ailleurs du château d’Obea — ou d’Obdorsk — jusqu’au confluent de l’Irtich, on aurait employé, suivant le baron Herberstein, toute une saison d’été. Sur l’Irtich se trouvaient Jerom et Tumen, résidences fameuses des kniez Juhorski. « Les Russes, observe, non sans quelque apparence de raison, le prudent diplomate, m’ont affirmé que la Lucomorie obéissait aux lois du prince de Moscou. Cependant le royaume de Tumen n’est pas très éloigné de la contrée qu’habitent les Lucomores, et le tsar Tumenski, c’est-à-dire le roi de Tumen, a récemment infligé de sérieux dommages aux provinces possédées par le grand-duc Basile. On peut en inférer que les nations de la Lucomorie, si elles subissent un joug, subissent plutôt le joug de leur proche et puissant voisin, le souverain