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parages qu’au mois de mai 1553 elle ne connaissait encore que par les élucubrations plus ou moins plausibles d’un octogénaire opiniâtre. Ces notions peuvent jusqu’à un certain point expliquer la confiance renaissante de Sébastien Cabot. En expédiant le Searchthrift vers le château d’Obdorsk, on ne l’envoyait pas, comme autrefois l’Édouard-Bonaventure, la Speranza et la Confidentia, côtoyer dans la brume le pays des chimères. Plus d’un fantôme hantait encore cependant la province récemment conduise, et la Sibérie d’Herberstein ne ressemble guère à celle qu’ont décrite les auteurs du siècle dernier ou les voyageurs de nos jours. Le Zemnoï-Poyas et les monts Riphées sont devenus, sous leur nom moderne de monts Ourals, « une chaîne de montagnes d’une monotonie désespérante, plutôt insipide que dangereuse. » La partie méridionale du pays, malgré « son ciel lugubre, » est comparativement fertile et productive. Ces districts privilégiés sont, il est vrai, assez circonscrits. « Un degré de plus vers le nord, un pas au-delà du grand chemin, vous êtes dans le désert, au milieu de marais bourbeux, dans lesquels le sauvage Ostiak chasse, tout l’hiver, le renard et l’ours, se contentant, pendant l’été, qui dure deux mois, de poisson pour toute nourriture. » La Sibérie, en somme, est un très bon pays « pour des exilés, » une mine inépuisable de richesses souterraines. Ce qui en rend surtout la possession précieuse, c’est qu’elle paraît en voie de devenir, comme l’avait si bien pressenti Sébastien Cabot, le plus court des chemins qui mèneront au Cathay.

Le choix du capitaine placé sur le Searchthrift était déjà un gage de succès pour la mission nouvelle. Stephen Burrough passait avec raison pour un des meilleurs pilotes de la marine anglaise, et deux campagnes récentes lui avaient rendu familières les épreuves des navigations arctiques. Si un destin fatal l’enlevait prématurément à l’expédition, son frère, William Burrough, non moins habile que lui « à relever le soleil ou les côtes au compas, à mesurer l’élévation du pôle à l’aide de l’astrolabe, » serait sur le Searchthrift prêt à le remplacer.

Accompagné du Philippe-et-Marie, l’Édouard-Bonaventure avait pris les devans. Ces deux vaisseaux étaient déjà mouillés depuis plusieurs jours à l’embouchure de l’Orwell, quand le 27 avril de l’année 1556, « le digne Sébastien Cabot, » alors âgé de plus de quatre-vingts ans, vint visiter à Gravesend la pinnace le Searchthrift. L’illustre gouverneur de la Compagnie moscovite amenait avec lui plusieurs gentilshommes et des dames. Quand il eut soigneusement inspecté la pinnace dans ses moindres détails, et fait honneur à la collation qui lui fut offerte, il descendit à terre, laissant à l’équipage une gratification telle qu’on pouvait l’attendre de sa