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Nambalniza[1] et Rybnaïa. Sur le rivage beaucoup de bois flotté, — ce bois ne pouvait venir que des côtes de la Tartarie ; — mais nulle trace de végétation. Les oiseaux de mer se trouvaient chez eux dans cette solitude ; on en pouvait voir là de toutes les espèces : mouettes, goëlans, pies de mer, sans compter maintes variétés encore innommées ou pour la plupart même inconnues. Le 12 juillet au matin, Gabriel aperçut une fumée au large. Il se dirigea de ce côté avec son bateau. Au moment où le soleil restait au nord-ouest[2], on vit la lodia revenir au mouillage. Gabriel n’avait pas fait une sortie infructueuse. Il ramenait un de ces êtres étranges qui, au témoignage de Féodor Toutigui, « ont coutume de passer tout un mois dans la mer sans poser une seule fois le pied sur la terre ferme. » Entre le veau marin et le pêcheur samoïède, il serait difficile de distinguer l’homme, car le pêcheur se taille d’ordinaire un vêtement complet dans la peau de l’amphibie. Les dépouilles du phoque enveloppent tout le corps de la tête aux pieds, les mains mêmes disparaissent ; il ne reste de découvert que le visage. La fantastique bordure de la mappemonde elliptique défilait ainsi peu à peu devant les Anglais. Après les Scricfini, les Nocturnes et les Hippophages, c’étaient maintenant los que tienen todo el cuerpo como de persona umana, salvo la cabeza, que tienen como de puerco, y que gruñendo se entienden como puercos[3], qui semblaient à leur tour se détacher du cadre. Sous plus d’un rapport, Sébastien Cabot, Giles Holmes, Herberstein, les avaient calomniés. Aux étrangers admis dans leurs domaines, ces êtres monstrueux ne se faisaient connaître que par leur courtoisie et leur extrême douceur. Le Samoïède qu’amenait Gabriel avait apporté trois jeunes oies et une jeune macreuse ; il en fit don à Stephen Burrough.

Le 14 juillet, le Searchthritft quittait la côte orientale de la presqu’île Canin et faisait 25 lieues à l’est. Les Anglais virent alors au nord-ouest une île qui leur restait à 8 lieues de distance environ. C’était l’île Kolguef, qu’avait déjà contournée Wilîoughby. Le 15, traversant la grande baie de Tcherskaïa et doublant un cap Sviatoï, qu’il ne faut pas confondre avec le promontoire du même nom situé sur la côte de la Laponie, ils franchissaient « la dangereuse barre de la Petchora. » Dans la passe même, le Seatchthrift ne trouva qu’une brasse d’eau. La mer de chaque côté brisait avec furie, et

  1. Ce serait Nambalniza, si la latitude observée par Burrough, — 68° 20’, — est exacte ; mais, sans manquer de respect aux meilleurs observateurs de cette époque, il ne faut pas trop tenir compte avec eux des tiers de degré.
  2. A 8 heures 45’ du soir.
  3. Légende de la mappemonde de Sébastien Cabot, Tabula prima, n° 10.