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bien que sur les côtes de la Nouvelle-Zemble, les marins du Searchthrift, à deux reprises différentes, l’obtinrent d’une faveur spontanée du sort. Willoughby semble avoir été la victime expiatoire qu’attendait l’Océan arctique profané par l’audace des enfans de Japhet. Nul secours ne lui vint en aide, et, de quelque côté qu’il se retournât, il n’eut jamais, dans son amère détresse, que le choix de la catastrophe. Stephen Burrough au contraire, dans chaque perplexité, devait rencontrer un appui : Gabriel d’abord, un autre Keril ensuite.


II

Les habitans des côtes de la Mer-Blanche sont encore aujourd’hui les meilleurs marins de toute la Russie. Entreprenans jusqu’à la témérité, ils se distinguent aussi par l’amour du travail, la probité et les mœurs les plus hospitalières. La sobriété seule ne fait pas partie de leurs vertus. Toute leur science nautique est d’ailleurs demeurée une science d’instinct. Ils n’en vont pas moins guidés par leur mémoire et par l’aspect des côtes, commercer en Norvège, pêcher à la Nouvelle-Zemble. La forme et la voilure de leurs navires se prêteraient peu à un long louvoyage. Le vent cesse-t-il de souffler favorable, les Kerils laissent sur-le-champ porter vers l’abri le plus proche. S’ils manquent de rades où se réfugier, le cas ne laisse pas de devenir grave. Le calcul de l’estime ne suffira pas à diriger la lodia, et la nef de sapin aux trois voiles carrées ne saura désormais qu’errer à l’aventure. Parties en même temps que le Searchthrift de la rivière Kouloï, quatre lodias furent ainsi poussées, en partie malgré elles, de Kanin-Noss à la terre de l’Oie. Le 28 juillet, un de ces bateaux venait accoster l’Ile sous laquelle Stephen Burrough avait jeté l’ancre. Le patron se nommait Loshak. Jamais capitaine dévoyé de sa route ne se montra moins déconcerté.

Dès sa première entrevue avec Stephen Burrough, il lui déclara sans hésitation que la pinnace avait dépassé le détroit qui pouvait la conduire à l’Oby. « Cette côte où nous avons tous les deux abordé s’appelle, lui dit-il, Novaïa Zemlia, ce qui signifie en russe la nouvelle terre. C’est ici que se trouve la plus haute montagne du monde. Camen-Bolchoï, sur le continent, n’a pas de sommet qui puisse atteindre à cette élévation. » Si Loshak n’eût point eu d’autres renseignemens à fournir, sa rencontre eût été d’un prix insignifiant ; mais Loshak se faisait fort d’indiquer comment on pouvait arriver au pays des Vogouls et Stephen Burrough recueillait avidement tous les détails que le Keril lui-même avait reçus des pêcheurs samoïèdes. Un miroir d’acier, deux cuillers d’étain, une paire de couteaux renfermés dans un étui de velours payèrent