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les côtes d’OEgeland et de Halgeland à la terre des Scricfîni. Les flottes de la compagnie moscovite pouvaient donc appuyer sur des bases certaines leurs opérations commerciales, calculer à l’aide de données précises la durée probable de leurs traversées, arrêter à l’avance l’époque où elles devraient quitter chaque année la Tamise, celle où il conviendrait d’effectuer le retour. Il ne restait plus pour entraver le nouveau trafic que les hasards habituels de la mer. Ces hasards étaient grands sans doute. Les mers australes faisaient-elles aux carraques portugaises et aux galions espagnols un chemin beaucoup plus facile ? Ne nous laissons pas emporter trop loin par l’enthousiasme que nous ont inspiré tant de courageux efforts. Dans l’admiration la mieux motivée, il convient de garder encore une juste mesure. De l’aveu même des Anglais, Christophe Colomb demeure hors de pair. Son œuvre, ils l’ont appelée avec tous les contemporains « chose divine, plutôt que chose humaine. » L’audacieux et patient labeur doit céder la palme au génie ; le génie ne sera jamais que la resplendissante inspiration qui vient d’en haut. L’illustre et savant Hakluyt[1] s’est respectueusement incliné devant la gloire de celui qui avait donné un monde à l’Espagne, une secousse que nous voyons durer encore à l’univers. Il n’a demandé à la postérité que de consentir à mettre sur le même rang, « la découverte du vaste et dangereux océan qui s’étend au-delà du Cap-Nord et la découverte du Cap de Bonne Espérance. » — L’éminent compilateur des navigations britanniques eût voulu qu’on reconnût un égal mérite « aux marins qui étaient arrivés, par la baie de Saint-Nicolas et par la Dvina, au cœur du vaste empire de Russie et aux navigateurs qui, d’étape en étape, parvinrent, à la-fin du XVe siècle, jusqu’aux Indes. Sans la priorité, qui en pareille matière a bien sa valeur, nous serions tentés de donner au chroniqueur anglais toute satisfaction sur ce point. L’entreprise de 1497 et celle de 1553 sont deux entreprises du même ordre, et, si l’on en considère les conséquences immédiates ou lointaines, deux entreprises à la rigueur qui se valent.


E. JURIEN DE LA GRAVIERE.

  1. Richard Hakluyt, né en 1553 à Eyton, dans le comté d’Hereford, a rendu à la géographie maritime les plus signalés services. En 1589, il avait publié en un volume in-folio tout ce qui avait rapport aux navigations des Anglais. En 1598, 1599 et 1600 il publia trois nouveaux volumes, admirable recueil de pièces officielles, inappréciable collection sans laquelle le souvenir de tant de grandes choses accomplies n’existerait peut-être plus. Jacques Ier le récompensa en lui donnant durant sa vie une prébende et un rectorat, après sa mort, qui eut lieu le 23 octobre 1616, une tombe dans l’église de Westminster.