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réellement d’une application journalière dans la société indigène ; mais, par une étrange contradiction, elles semblent s’y détourner de leur cours pour constituer de nouveaux obstacles au développement des notions que nous sommes habitués à regarder comme le fondement de toute morale et de tout progrès. Même la sobriété y va à l’encontre de son but, et, sans parler de l’ascétisme ni de ses exagérations, on a vu, durant la dernière famine, des paysans de l’Orissa dévorer le cadavre de leurs enfans, mais respecter la vie de leurs bœufs. En présence de pareilles populations, où il reste à créer tous les élémens, toutes les conditions, toutes les garanties des institutions libres, et où d’autre part l’initiative des moindres réformes, dans les mœurs aussi bien que dans les lois, doit forcément partir du pouvoir, est-ce qu’un gouvernement peut se passer du despotisme pour fonder la liberté, et ne doit-il pas commencer par se faire absolu pour arriver à se rendre inutile ?

Le premier souci de l’Angleterre, au jour où elle entreprit sérieusement de donner à ses sujets de l’Inde un gouvernement digne de ce nom, devait tendre à établir une administration qui non-seulement fût en état de pourvoir aux besoins du pays, mais qui pût encore, par son intégrité comme par sa capacité, faire l’éducation politique des indigènes. Au début, la Compagnie des Indes, association purement commerciale, n’avait à son service que des écrivains, des marchands et des facteurs. Lorsqu’en 1760 la cession du Bengale, du Behar et de l’Orissa vint lui donner les charges avec les avantages de la souveraineté, elle se contenta de maintenir l’administration indigène, en préposant quelques-uns de ses employés au contrôle de la justice et à l’encaissement des impôts. Il fut bien entendu que son rôle commercial continuerait à primer sa mission politique, et que ses fonctionnaires chercheraient le plus sérieux de leurs appointemens dans les profits de leurs propres transactions. Néanmoins le public s’émut en Angleterre des fortunes scandaleuses réalisées par les serviteurs de la Compagnie dans l’exercice de leurs fonctions mixtes, et à la suite de l’acte qui renouvela en 1784 la charte de cette puissante association, lord Cornwallis organisa l’administration civile et militaire de l’Inde anglaise sur les bases qu’elle a conservées jusqu’à nos jours. Les services publics furent nettement séparés de la gestion financière. Dans chaque district, les intérêts fiscaux furent confiés à un collecteur, les affaires judiciaires à un juge, enfin le domaine de l’administration proprement dite à un magistrat qui peut se comparer aux préfets de France par l’étendue de ses attributions et qui possède en outre une certaine juridiction criminelle. Ces différentes fonctions constituèrent le covenanted service, c’est-à-dire une catégorie d’emplois exclusivement