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et recommandez à Selina et à Jane (ses sœurs) d’être reconnaissantes : une partie nécessaire de l’éducation des filles ne consiste pas à se donner tous les jours une migraine sans acquérir en échange une vérité pratique ou une belle image. »

Est-ce au souvenir des mauvais momens que lui fit passer la géométrie qu’il faut attribuer le jugement rigoureux porté plus tard par Macaulay sur les honneurs universitaires ? « Après tout, disait-il, ce qu’un jeune homme a fait à Cambridge n’est rien en soi. S’il fait pauvre figure dans le monde, son titre de grand-prix n’est jamais mentionné qu’avec dérision, et s’il y fait grande figure, ses nouveaux succès font oublier les anciens. » La gloire d’un concours académique n’aurait pas en effet sensiblement augmenté celle que l’auteur de l’Essai sur Milton n’allait pas tarder d’acquérir. Ce qui est certain, comme on l’a fort bien remarqué, c’est que jamais il ne se donna de peine pour forcer son talent. Il fit toujours honnêtement ce qu’il était contraint de faire ; il ne fit admirablement que ce qu’il aimait à faire. Au lieu de pâlir sur les difficultés d’une équation, il se plaisait à passer d’un livre à un autre, histoire, littérature ou philosophie, depuis le traité le plus abstrus jusqu’au roman le plus frivole, ou bien à entretenir de longues conversations avec les brillans condisciples qu’une bonne fortune avait assis sur les mêmes bancs que lui. Sans compter ceux que l’Angleterre connut plus tard sous les noms de lord Grey et de lord Romilly, Cambridge comptait alors parmi ses étudians Praed, Charles Villiers et Charles Austin. Ce dernier paraît avoir exercé sur Macaulay, comme sur tous ceux qui l’approchaient, une influence proche de la fascination. Austin, dont John Stuart Mill a pu dire que par la beauté de ses talens et la force de sa volonté il semblait capable de dominer le monde, Austin ne s’est jamais donné la peine de prendre la plume pour laisser à la postérité quelque témoignage de la grande intelligence que lui reconnaissaient ses amis ; mais on se figure le charme que devaient trouver à son commerce et ceux qui l’écoutaient, et ceux qui, plus audacieux, ne craignaient pas de rompre une lance avec lui. Pour des joutes semblables, Macaulay se montrait toujours prêt. Tant qu’une porte restait ouverte ou qu’une lampe brillait dans la cour du collège, on le trouvait disposé soit à discuter les institutions américaines et les mérites de la poésie de Wordsworth, soit à faire honneur à quelque dinde rôtie arrosée de punch à la crème. L’été, quand la nuit était belle, l’entretien se prolongeait dans la campagne, et souvent le bruit des argumens allait réveiller les oiseaux endormis. Macaulay n’a jamais parlé qu’avec émotion de ces heures si bien remplies.

Peut-être leur devait-il en partie son talent de causeur ; il leur