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L’existence actuelle, pour un certain nombre d’années, de l’union latine est la source d’une partie des embarras que nous cause aujourd’hui l’affaire des monnaies ; on le verra dans un instant.

Le changement brusque qu’a éprouvé la cote de l’argent dans le commerce a été comme un coup de massue pour le système du double étalon, et aurait dû en ramener les partisans à une opinion toute différente. Cette cote parle si haut, qu’il semblerait qu’il ne reste plus aux partisans du double étalon, enthousiastes du nombre 15 1/2, d’autre alternative que de se soumettre. La cote de Londres, qui est le principal marché pour l’argent comme pour l’or, révèle que l’équivalent d’un kilogramme d’or n’est plus la quantité de 15 kilogrammes et demi d’argent qu’on avait lieu de présenter comme telle en l’an XI ; c’est à peu de chose près 19 kilogrammes. L’écart qui s’est manifesté depuis 1870 entre les valeurs respectives de l’or et de l’argent est presque aussi grand que celui qui avait mis trois siècles et demi à se produire, après la découverte de l’Amérique. La doctrine du double étalon, qu’on ne craint pas de recommander encore avec l’annexe du nombre 15 1/2, est donc tout simplement anéantie.

Qu’une doctrine philosophique ou scientifique ait un échec, habituellement ce n’est pas pour la société de grande conséquence, du moins par les effets immédiats. Le monde continue de marcher, les affaires humaines, publiques et privées, suivent leur cours comme devant. Qu’en philosophie le système des idées innées soit renversé ou triomphe, qu’en chimie le phlogistique soit détrôné par l’oxygène, qu’en histoire naturelle Darwin soit vainqueur ou qu’il soit vaincu, l’agriculture, les manufactures et le commerce ne s’en ressentent pas ; la prospérité publique sera ce qu’elle était la veille. Ce n’est pas à dire cependant qu’à la longue il soit indifférent pour la puissance, la splendeur et la richesse même des états, que les intelligences soient obscurcies et déprimées par l’erreur ou éclairées et élevées par la vérité. Ce que nous venons de dire des autres sciences est applicable à beaucoup de questions de l’ordre économique. Ainsi, que la théorie de Ricardo sur la valeur ou sur la rente ou celle de Malthus sur la population soit au pinacle ou dans le délaissement, il n’en résulte pour les intérêts aucun ébranlement à courte échéance ; mais pour la monnaie, quand une doctrine erronée, comme celle qui érige en axiome ou en dogme le rapport exprimé par le nombre 15 1/2 et l’investit de l’immortalité, a pris pied dans les régions officielles, lorsque sous cet entraînement l’autorité agit ou laisse marcher les événemens comme si cette bévue était une des bases de la bonne administration de l’état, un moment arrive où la vérité et le bon sens violentés se font jour au travers des faits avec une force irrésistible. Une crise éclate dans