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conditions du rachât selon les diverses régions. Il est à remarquer que les rachats effectués du consentement mutuel des propriétaires et des paysans sont les moins nombreux, environ les deux cinquièmes du total, 21,000 sur 57,000 en 1874 ; le reste a été opéré sur la demande des propriétaires ou des établissemens de crédit, auxquels les propriétaires avaient engagé leurs biens. L’acte d’émancipation accorde en effet au propriétaire le droit d’exiger le rachat, et dans ce cas les paysans ont seulement la faculté de réduire leur lot au minimum légal des règlemens locaux. Les rachats forcés sur la demande des propriétaires prévalent dans les régions du nord, dans les gouvernemens de Pétersbourg, Novgorod, Pskof, Tver, Smolensk, Moscou et généralement dans les contrées peu fertiles. Les rachats opérés par consentement mutuel l’emportent au contraire dans le sud, dans les gouvernemens de Poltava, Tchernigof, Kharkof, Kherson, et généralement dans les riches pays à terre noire. Dans le premier cas, le sol étant peu fertile et le taux du rachât, calculé sur le taux des anciennes redevances, étant relativement élevé, le propriétaire a tout intérêt à tirer de ses terres le prix que la loi l’autorise à en exiger des paysans. Dans le cas opposé, le sol étant d’ordinaire d’une remarquable fécondité, et grâce au développement de la population et des voies ferrées la terre augmentant toujours de valeur, le propriétaire a peu d’intérêt à s’en défaire au prix légal, qui, le plus souvent, se trouve inférieur à la valeur réelle.

On voit par là que, tout en étant fondée sur des règles identiques, l’émancipation n’a pu produire partout les mêmes effets, que là elle a été onéreuse aux paysans et ici aux propriétaires. De là en partie la différence des jugemens qu’en Russie même on entend porter sur cette grande réforme. Parmi les anciens détenteurs du sol, les plus malheureux ont été les moins riches, et la chose était si facile à prévoir, que l’acte d’émancipation a dû promettre des secours aux petits propriétaires qui souvent se sont trouvés à peu près ruinés. Parmi les paysans, aucune catégorie n’a été ouvertement appelée à recevoir une indemnité ou des secours ; mais indirectement l’état a du parfois leur venir en aide en leur remettant une partie des taxes arriérées. C’est ce qui s’est fait en particulier dans le gouvernement de Smolensk, où le rendement des terres est hors de proportion avec le prix du rachat, et où le lot que le paysan a été contraint de racheter est souvent insuffisant à l’entretien de sa famille, incapable de lui fournir de quoi payer ses impôts et redevances. A cet égard, les vues de la commission d’émancipation sont loin d’avoir été partout remplies. Il est juste de rappeler que le projet primitif de la commission eût donné aux serfs des terres plus étendues à un taux souvent moins onéreux. Le gouvernement a, sur les