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actes du nouveau ministère avait été de supprimer, par économie, le commissariat qui lui fournissait le plus clair de son revenu. Macaulay, par délicatesse de conscience, avait voté contre ses propres intérêts. Les émolumens que lui valait son titre de fellow de collège n’avaient plus que peu de mois à courir, et sa plume ne lui donnait pas encore ce qu’elle lui donna plus tard, une fortune. Ainsi ce membre du parlement qui, dès qu’il se levait, imposait le silence à la chambre attentive, après ses triomphes de la nuit s’en revenait à pied chez lui, de grand matin, pour souper d’un morceau de fromage dû à la libéralité de l’un de ses électeurs, et d’un verre d’ale qu’il devait à son bénéfice de Cambridge. Il en était même réduit à vendre les médailles d’or qu’il avait gagnées autrefois dans les concours ? mais jamais il n’écrivit une ligne ni ne prononça un mot qui ne fussent l’expression de ses croyances politiques ou de ses opinions littéraires. Jamais non plus il ne lui vint à l’esprit de se plaindre du fardeau que la ruine de son père avait mis sur ses épaules. Il l’accepta sans murmurer, sans même paraître croire qu’il y eût du mérite à sacrifier le meilleur de sa vie aux besoins de sa famille.

Le monde ignorait ces détails intimes, et M. Trevelyan a eu raison de ne point les passer sous silence, car ils servent à faire connaître le véritable Macaulay et sont l’honneur de sa jeunesse. Quel que soit le jugement que l’on porte sur son caractère et sur ses défauts, car il en eut, il ne faudra pas oublier désormais que son désintéressement et sa générosité ne connurent pas de limites. Par un contraste assez singulier, le temps où il se trouva le moins à son aise fut justement celui de sa plus grande dissipation mondaine. À la fois accueilli comme écrivain et comme orateur, il vit s’ouvrir à deux battans les portes de la plus haute société, qui même alors, paraît-il, quelquefois encore restaient fermées au talent. Il n’abusa pas de cet avantage, ne se trouvant pas sans doute l’étoffe d’un homme à la mode ; il ne semble pas non plus avoir jamais cherché à prendre cette grâce et cette légèreté de manières qui distinguent l’homme du monde. Pendant trois saisons, il dîna presque tous les soirs dans la meilleure compagnie, rencontrant tous les personnages illustres du présent, et même ceux du passé. Rogers, le banquier poète, le priait à ses déjeuners célèbres, lady Holland demandait à lui être présentée et lui offrait aussitôt un lit à Holland-House, tandis que lord Lansdowne l’invitait à ses soirées musicales où se pressait tout Londres, « excepté ce petit million et demi de gens » dont on ne parle pas. Enfin il causait avec Talleyrand, et celui-ci, laissant tomber de ses lèvres froides des mots qui ne devaient pas se perdre, daignait lui montrer la différence qu’il faisait entre le cardinal Mazarin, « qui trompait, mais ne mentait pas, et M. de Metternich, qui mentait toujours et ne trompait jamais. » On le voit ; il