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quelquefois de fastueuses noces ; mais les gens d’humble condition qui ne pouvaient faire la dépense d’une noce et ceux qui voulait, éviter tout éclat se conformaient à ces simples usages. — Un israélite d’Alger, muni de l’attestation qu’il avait contracté un tel mariage à Oran avec la veuve d’un de ses coreligionnaires, enjoignait, à cette prétendue ou véritable épouse de venir habiter le domicile conjugal. Celle-ci résistait à la sommation, alléguant que la pièce était mensongère et que le mariage n’existait pas. Tandis que le demandeur portait le litige devant le tribunal israélite d’Alger, qui était celui de la résidence des parties, la défenderesse faisait aussi juger la cause par la juridiction rabbinique d’Oran. Les rabbins d’Oran donnèrent raison à la femme, ceux d’Alger à son adversaire. — Chaque juridiction, régulièrement saisie selon les idées juridiques juives, avait prononcé en dernier ressort. La femme demeura dans son domicile, qu’elle n’avait point quitté ; cependant la plupart de ses coreligionnaires ne cessèrent de la regarder comme légitimement mariée, et plus tard elle ne put trouver un époux parmi eux qu’après avoir adhéré au jugement prononcé contre elle et obtenu le divorce. Ce fait, qui se place vers 1839, n’est sans doute pas le seul du même genre qu’on puisse relever. De pareils résultats accusaient l’impuissance, partant l’inutilité des tribunaux rabbiniques. Le principe même de leur institution interdisait à ces tribunaux de posséder les moyens matériels et directs de se faire obéir, les décisions d’une juridiction religieuse ne devant en effet être obligatoires que dans le for intérieur. Il ne restait donc qu’à supprimer une institution qui n’était point viable. En prenant cette résolution, le gouvernement répondit aux vœux de la partie éclairée de la population juive elle-même.

Deux ordonnances royales des 28 février 1841 et 26 septembre 1842 opérèrent cette réforme, en retirant tout pouvoir judiciaire aux rabbins et en rendant les israélites exclusivement justiciables de nos tribunaux. La délégation de ces attributions nouvelles à la justice française imposait à celle-ci la charge d’appliquer la loi hébraïque, qu’elle ignorait, et qui, n’étant pas codifiée, ne présentait que des dispositions éparses dans les gloses rabbiniques. Pour aider nos juges dans cette tâche délicate, on édicta qu’un conseil de rabbins serait appelé à fournir un avis écrit sur toutes les questions intéressant la foi religieuse, comme les mariages, divorces, successions, etc. Ces dispositions relatives à l’état des personnes étaient les seules qui offrissent quelque fixité ; quant aux règles des conventions civiles, l’incertitude où les variations des doctrines, judaïques jetaient notre magistrature l’obligeait dans le plus grand nombre de cas à recourir, pour la solution des difficultés, aux principes du droit français accommodés aux circonstances. On statuait