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cour de Vienne de même que l’Autriche a son ambassadeur à la cour du Quirinal, et les représentans des deux souverains marchent de pair dans les pays étrangers, à Saint-Pétersbourg comme à Londres. M. de Wimpfen vient de Rome pour remplacer le comte Apponyi, qui a quitté Paris il y a peu de temps et est allé mourir à Venise, dans cette paisible et italienne Venise où se rencontraient, l’an dernier avec une affectueuse courtoisie l’empereur François-Joseph et le roi Victor-Emmanuel. Que d’événemens, de révolutions et de guerres représentent ces simples faits, qui auraient été impossibles il y a moins de vingt ans, qui ne sont plus même remarqués aujourd’hui tant ils sont naturels ! Nulle part mieux qu’en France les nouveaux représentans de l’Autriche et de l’Italie ne peuvent être à l’aise, puisque entre les trois pays il y a bien des intérêts communs, surtout l’intérêt de la paix, et que rien ne les sépare désormais dans les conflits du monde. M. le comte de Wimpfen passe pour un diplomate à l’esprit tout moderne, libre et ouvert, il a été accueilli par M. le président de la république avec une cordialité particulière qu’il retrouvera sans nul doute dans la société parisienne. M. le général Cialdini a été reçu par M. le maréchal de Mac-Mahon comme un ancien compagnon d’armes, il s’est plu à réveiller les souvenirs de Magenta, de ces luttes généreuses d’autrefois communes à l’Italie et à la France, et cette réception a offert à M. le président de la république lui-même l’occasion de rappeler à son tour le temps où il a connu le roi Victor-Emmanuel sur le champ de bataille.

Le général Cialdini n’est pas précisément de l’ordre des diplomates. C’est un personnage tout militaire, un vrai soldat, à l’esprit hardi, au courage impétueux, et dont la carrière reflète en quelque sorte les agitations de l’Italie nouvelle. Il a passé par tous les hasards des révolutions et de la guerre. Né dans le pays de Modène vers 1813, il était, avant d’avoir vingt ans, en 1831, émigré à Paris, où il revient aujourd’hui ambassadeur. Il a commencé sa vie de soldat en Portugal comme simple grenadier dans un régiment du roi dom Pedro combattant pour la couronne de sa fille dona Maria contre dom Miguel. Il a servi en Espagne pendant la guerre civile, d’abord dans le corps auxiliaire des « chasseurs d’Oporto, » puis dans l’armée régulière de la reine Isabelle : il était alors avec un de ses compatriotes destiné comme lui à devenir général italien, Manfredo Fanti, et avec le malheureux Génois Borso di Carminati, qui a été fusillé depuis dans les guerres civiles espagnoles. Enrico Cialdini n’avait pas tardé à se signaler par sa vigueur et à s’élever ; il avait attiré l’attention du général Narvaez, et il a même été un des organisateurs de la « garde civile, » de la gendarmerie espagnole. Il était lieutenant-colonel en 1848, lorsque la première guerre de l’indépendance italienne le rappelait dans son pays. Il fut avec d’Azeglio un des blessés de Vicence, et la blessure qu’il avait reçue était tellement grave qu’on désespérait de sa vie. Peu de mois après, placé à la tête d’un régiment