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Voilà l’Espagne revenue au point où elle était il y a huit ans, avec une cruelle expérience de plus toutefois, avec d’amers souvenirs, de douloureux enseignemens et bien des ruines accumulées qu’il s’agit maintenant de réparer. Si quelque chose pouvait rendre plus sensible cette évolution ; ce retour de la péninsule sur elle-même, c’est la rentrée de la reine Isabelle, qui vient de quitter, la France, où elle avait trouvé une hospitalité qu’elle a payée par sa fidélité à notre pays, par ses préférences constantes pour Paris. Isabelle II est partie pour Santander, où son fils, le roi Alphonse, est allé l’attendre avec ses principaux ministres. Déjà la reine Marie-Christine, l’aïeule du roi, était à Madrid ou à l’Escurial. C’est la restauration complète de la royauté espagnole, mais cette fois d’une royauté rajeunie, éclairée par les événemens, représentée par un prince de moins de vingt ans, à l’esprit libéral et bien intentionné. La restauration du jeune roi n’était pas la chose la plus difficile. Il y avait à restaurer la paix intérieure troublée par la guerre civile, presque l’intégrité du pays, les institutions parlementaires perdues dans les convulsions.

Que l’Espagne ne soit point encore au bout de sa tâche, on ne peut guère s’en étonner ; elle est du moins dans la bonne voie, puisque après la paix reconquise par la défaite des carlistes elle a retrouvé un régime de libre délibération. Hier encore, les chambres étaient réunies à Madrid ; elles viennent à peine de se séparer après une longue et laborieuse session, après avoir voté une constitution, une liberté religieuse, relative, des mesures financières et une loi sur l’abolition des fueros basques, dont l’exécution n’est point aujourd’hui la difficulté la moins sérieuse pour le gouvernement. Le cabinet de Madrid, ou pour mieux dire le président du conseil, M. Canovas del Castillo, a tout fait, il est vrai, pour adoucir cette loi en la limitant à la suppression des privilèges les plus exorbitans qui exemptaient les provinces basques du recrutement militaire et des impôts généraux. Telle qu’elle est cependant, elle excite dans les provinces du nord une émotion profonde, qui se traduirait peut-être en de nouveaux troubles, si de vigoureuses mesures militaires, n’étaient déjà prises. Les provinces basques paient aujourd’hui la rançon de leur participation à la guerre carliste ; elles se soumettront sans doute, avec le temps, avec un bon gouvernement respectant autant que possible leurs habitudes, leur autonomie administrative. C’est là toutefois un des embarras du moment dans cette restauration espagnole que M. Canovas del Castillo a si habilement et si heureusement dirigée jusqu’ici, que nul mieux que lui ne peut conduire jusqu’au bout.


CH. DE MAZADE.

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Le directeur-gérant, C. BULOZ.