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le conseil désintéressé que donnait à Macaulay, prêt à faire voile, l’ancien avocat général du Bengale ; il était superflu. Ni les inconvéniens ni les maladies des climats chauds n’avaient de prise sur le nouveau membre du conseil suprême. Les autres Européens languissaient, devenaient mélancoliques et mouraient ; Macaulay, grâce à son tempérament, était au-dessus de ces petites misères-là. Il trouvait tout naturel, agréable même, un voyage de 400 milles fait sur des épaules humaines, et montrait autant de présence d’esprit dans un bungalow que dans le salon de Holland-House, ainsi qu’il le prouve lui-même dans les lignes suivantes : « Je trouvai à Mysore un Anglais qui, sans autre préface, m’accosta en me disant : Monsieur Macaulay, répondez-moi, je vous prie ; ne pensez-vous pas que Buonaparte était la bête (de l’Apocalypse) ? — Non, monsieur, je ne puis pas dire que je le pense. — Monsieur, Buonaparte était la bête, et je peux le prouver. J’ai trouvé le nombre 666 dans son nom. D’ailleurs, monsieur, s’il n’était pas la bête, qui serait-ce donc ? — La question était embarrassante, et je ne suis pas médiocrement lier de ma réponse. — Monsieur, lui dis-je, c’est la chambre des communes qui est la bête. Elle se compose de 658 membres ; en comptant les 3 secrétaires, le sergent et son subdélégué, le chapelain, le bibliothécaire et le portier, cela fait justement 666. »

Il ne faillit s’ennuyer qu’une fois, la première et la dernière de sa vie ; ce fut sur les Nilgherries, où la pluie l’empêcha de sortir pendant un mois. Heureusement il avait Clarisse Harlowe dans son bagage, et son enthousiasme pour le roman de Richardson fut le salut de l’aimable, mais ignorante société qui l’entourait dans cette retraite d’été. Du reste il n’éprouvait pour la nature, pour les plaisirs et pour les Anglais de l’Inde qu’un goût très modéré. Mal vu des journalistes et des avocats de Calcutta, dont il dédaignait les talens, il n’était rien moins que populaire dans le monde anglo-indien. Le Times allait même jusqu’à dire que, de tous les Anglais qui avaient quitté les bords de la Tamise pour ceux du Gange, jamais membre de la société n’avait été moins aimé, jamais fonctionnaire public n’avait été plus exécré que lui. Ces critiques violentes, on le sent bien, ne le détournaient pas du but qu’il s’était proposé. Il n’en continuait pas moins à mettre au service de l’administration ses grandes facultés, ses connaissances et ses idées libérales. Il revendiquait la liberté de la presse pour l’Inde, l’égalité des Européens et des indigènes devant la loi, s’occupait de l’instruction publique et surtout préparait pour l’Inde un code pénal. En même temps, par manière de délassement, il relisait l’antiquité classique d’un bout à l’autre et ses auteurs favoris deux ou trois fois, tandis que l’Essai sur Bacon partait pour Edimbourg et traversait les mers. Cependant il s’apercevait aussi qu’il est pénible de « rôtir et de