Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 16.djvu/781

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Supposez d’autre part une dissolution immédiate, la fureur des deux partis aux prises ne connaîtra plus de bornes. Les tories pourront gagner cinquante ou soixante voix, ce qui ne les empêchera pas de rester en minorité, et la majorité se composera d’hommes qui se seront engagés à tout sur les hustings, qui se seront plongés jusqu’au cou dans le flot démagogique, qui auront promis de réduire à trois années la durée des parlemens, de voter le scrutin secret et le suffrage universel. Nous serons alors dans un joli état, avec une chambre des communes refusant de soutenir tout ministère qui ne lui apportera pas des propositions de loi en faveur de ces mesures excessives ! »

Tout ceci, qu’on veuille bien le croire, n’est pas une digression ; ces détails politiques étaient nécessaires à notre sujet, puisqu’ils nous font entrevoir au milieu de quelles violences, à travers quelles mêlées, une jeune fille de dix-huit ans va être appelée au trône d’Angleterre. La princesse Victoria, une fois reine, sera-t-elle favorable aux tories ou aux whigs ? Cette question, même sous Guillaume IV, agite déjà les partis, et c’est Guillaume IV qui l’a soulevée, ou qui l’a du moins envenimée plus que jamais, en congédiant sans cause légale le ministère de lord Melbourne. Il est certain que des influences tories, dominant l’intelligence prétentieuse et faible du vieux roi, ont amené cette crise de 1834 ; on dit que ce furent surtout des influences féminines, et que cette chute des whigs, si peu conforme aux traditions parlementaires du pays, doit être attribuée à de très hautes dames du parti tory. Nous verrons bientôt d’autres dames non moins hautes et non moins illustres, les dames du monde whig, prendre leur revanche sur les héroïnes du parti adverse. Bataille de dames ! Les jeux les plus graves ont parfois des ressemblances avec des jeux d’enfans. Ce qu’il y a de plus regrettable en cette rencontre, c’est que ce jeu pouvait causer de sérieux embarras à la future reine, car cette question un peu prématurée : « Que pense la princesse ? de quel côté se tournera la reine ? Sera-t-elle pour les tories ou pour les whigs ? » cette question, dis-je, un peu prématurée à cette date, se trouvait comme posée d’avance et d’avance légèrement envenimée. Or, c’était la maladresse du roi Guillaume IV qui avait créé cette situation équivoque.

Nous n’avons pas à raconter ici la suite de ces luttes parlementaires, nous n’en prendrons que ce qui appartient à notre histoire. Rappelons seulement, pour l’encadrement et l’explication de ce qui va suivre, que le ministère de lord Melbourne, ainsi congédié le 12 novembre 1834, se reforma le 2 avril 1835, et réussit à se maintenir jusqu’au mois d’août 1841. Lord Melbourne était premier ministre lorsque la princesse Victoria devint majeure ; c’est aussi