Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 16.djvu/798

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

conjugale n’entraîne pas nécessairement le sacrifice de la dignité paternelle. Au contraire, tant que le fils du prince-époux n’est pas roi, la dignité paternelle du prince est entière. Le père doit passer avant le fils ; le père qui ne sera jamais roi doit passer avant le fils qui sera roi. On comprend que dans un intérêt général la loi politique fasse fléchir la loi naturelle ; on comprend aussi que la loi naturelle ne fléchisse qu’à l’instant précis où la loi politique le veut. Toute exception blessante doit être restreinte pour la durée à ce qui est strictement nécessaire, odia restringenda. Un jour plus tôt, une heure plus tôt, ce serait une offense à l’éternelle morale. Oui, sans doute, tout cela est juste, mais chez un peuple qui a conquis ses libertés après tant de siècles de lutte, chez un peuple fier, jaloux, soupçonneux, surtout chez un peuple qui, n’aimant pas les déclarations de principes, tient à régler tous les cas litigieux d’après les besoins du moment ; ce n’est pas à la justice absolue qu’il faut demander une décision en de si délicates matières. La seule loi absolue de la politique, au jugement des Anglais, est qu’il n’y a pas de loi absolue en politique. Voilà pourquoi le parlement, en dépit du vif désir de la reine, et malgré plusieurs instances régulièrement introduites, n’a pu se résoudre à prononcer sur ce point une sentence définitive.

On ne s’occupa d’abord que des oncles de la reine. Le ministère voulut savoir si tous les frères puînés de George IV, de Guillaume IV et du duc de Kent consentiraient à céder la préséance au prince-époux. Les ducs de Sussex et de Cambridge y consentirent après quelque hésitation ; quant au roi de Hanovre, bien loin de rien accorder, il protesta contre toute idée de lui enlever son rang, agita la société torie et travailla énergiquement son frère Cambridge pour l’amener à reprendre sa promesse. La discussion s’ouvrit à la chambre des lords le 27 janvier 1840. Elle fut moins vive sans doute, mais bien plus désagréable que la discussion de la liste civile du prince à la chambre des communes. L’occasion du débat était le bill de naturalisation du jeune prince. Le gouvernement avait inséré dans ce bill les paroles que voici : « Le prince, pendant toute la durée de sa vie, nonobstant toute autre disposition contraire, occupera dans le parlement et ailleurs après sa majesté le rang que sa majesté jugera convenable. » Un vice de forme fit ajourner le bill ; le ministère avait négligé d’indiquer dans le titre qu’il s’agissait non-seulement de naturaliser le prince, mais d’établir ses droits de préséance. L’assemblée était surprise, dit le duc de Wellington, les nobles lords n’avaient pas eu le temps de réfléchir à une question si délicate. Lord Wellington fut soutenu par lord Brougham, qui fit des objections très graves : « La proposition